nocturnes

Dans  L'ame solitaire
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Nocturnes

I
Le vent mélodieux chante dans les pins sombres
Dont les larges bras noirs bougent parmi les ombres
Le ciel s’est étoilé lentement. La forêt
Voit mille yeux bleus s’ouvrir sur son dôme discret,
Et, sur le sol moelleux que vêt la feuille brune,
Luire de fins rayons et des flaques de lune.
Parfois vibre un bruit d’aile, et furtif, égaré,

Un oiseau somnambule apparaît, effaré.


Le soir tendre en chantant, doux comme une âme blanche
Baise et fait frissonner chaque nid sur la branche.
C’est grand comme la nuit et frais comme elle encor.
Et je songe à Vigny, quand éclate le cor !

II
La nuit mystérieuse éveille en nous des rêves,
De beaux rêves rêvés le long des jaunes grèves,
Qui s’élèvent aux clairs de lune familiers
Comme les papillons nocturnes par milliers.
Lourds encor du sommeil dont leurs ailes sont pleines,
Ils montent incertains vers les lueurs sereines
Et disparaissent. Puis, d’autres essaims bientôt
Les joignent, qui s’en vont se perdre aussi là-haut…
Mais le ciel nous les rend, le grand ciel magnanime,
Car il sait que le coeur souvent le plus sublime
Doit à quelque vieux rêve obstinément rêvé
Sa force, et qu’il mourrait s’il en était privé.

III
La lune a mauvais teint ce soir, la lune est jaune.
Elle ne charmera pas cette nuit le faune
Qui danse à sa lueur, autour des troncs moussus.
Tous les hôtes joyeux des bois seront déçus.
Les oiseaux familiers blottis dans les ténèbres,
À sa clarté n’auront que des songes funèbres.
Ah ! Madame la Lune, avec vos traits flétris
Vous ne réjouirez que les chauves-souris !
Mais peut-être aurez-vous sur le cerveau de l’homme
Une influence heureuse, et, durant son long somme,
Pour changer le plomb noir qui l’avilit encor,
Voudrez-vous lui verser au coeur des rayons d’or…

IV
O Lune, qui ce soir a l’air d’une malade,
Lune pâlement bleue, astre cher au nomade,
Lampe d’or du poète et soleil des hiboux,
O Lune ! qu’as-tu donc à pleurer comme nous !
Car ce sont bien tes pleurs, Lune triste et superbe,
Qui perlent au matin à la pointe de l’herbe…
Lune languide et blême, en ton beau ciel de nuit
Être hantée ainsi d’un indicible ennui ;
Au vaste paradis des divines étoiles
Gémir comme une femme éplorée en ses voiles !
Ah ! Lune, nous pouvons nous lamenter un peu
Quand tu pleures, si haut, nous, si loin du ciel bleu !..

 

L’âme solitaire

Albert Lozeau



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