Pourquoi mon âme est-elle triste ?

Dans  Harmonies poétiques et religieuses
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Pourquoi gémis-tu sans cesse,
O mon âme ? réponds-moi !
D’où vient ce poids de tristesse
Qui pèse aujourd’hui sur toi ?
Au tombeau qui nous dévore,
Pleurant, tu n’as pas encore
Conduit tes derniers amis !
L’astre serein de ta vie
S’élève encore; et l’envie
Cherche pourquoi tu gémis !

La terre encore a des plages,
Le ciel encore a des jours,
La gloire encor des orages,
Le coeur encor des amours ;
La nature offre à tes veilles
Des mystères, des merveilles,
Qu’aucun oeil n’a profané,
Et flétrissant tout d’avance
Dans les champs de l’espérance
Ta main n’a pas tout glané !

Et qu’est-ce que la terre? Une prison flottante,
Une demeure étroite, un navire, une tente
Que son Dieu dans l’espace a dressé pour un jour,
Et dont le vent du ciel en trois pas fait le tour !
Des plaines, des vallons, des mers et des collines
Où tout sort de la poudre et retourne en ruines,
Et dont la masse à peine est à l’immensité
Ce que l’heure qui sonne est à l’éternité!
Fange en palais pétrie, hélas ! mais toujours fange,
Où tout est monotone et cependant tout change !

Et qu’est-ce que la vie ? Un réveil d’un moment !
De naître et de mourir un court étonnement !
Un mot qu’avec mépris l’Etre éternel prononce !
Labyrinthe sans clef ! question sans réponse,
Songe qui s’évapore, étincelle qui fuit !
Eclair qui sort de l’ombre et rentre dans la nuit,
Minute que le temps prête et retire à l’homme,
Chose qui ne vaut pas le mot dont on la nomme !

Et qu’est-ce que la gloire ? Un vain son répété,
Une dérision de notre vanité !
Un nom qui retentit sur des lèvres mortelles,
Vain, trompeur, inconstant, périssable comme elles,
Et qui, tantôt croissant et tantôt affaibli,
Passe de bouche en bouche à l’éternel oubli !
Nectar empoisonné dont notre orgueil s’enivre,
Qui fait mourir deux fois ce qui veut toujours vivre !

Et qu’est-ce que l’amour ? Ah ! prêt à le nommer
Ma bouche en le niant craindrait de blasphémer !
Lui seul est au-dessus de tout mot qui l’exprime !
Eclair brillant et pur du feu qui nous anime,
Etincelle ravie au grand foyer des cieux !
Char de feu qui, vivants, nous porte au rang des dieux !
Rayon! foudre des sens ! inextinguible flamme
Qui fond deux coeurs mortels et n’en fait plus qu’une âme !
Il est !… il serait tout, s’il ne devait finir !
Si le coeur d’un mortel le pouvait contenir,
Ou si, semblable au feu dont Dieu fit son emblème,
Sa flamme en s’exhalant ne l’étouffait lui-même !

Mais, quand ces biens que l’homme envie
Déborderaient dans un seul coeur,
La mort seule au bout de la vie
Fait un supplice du bonheur !
Le flot du temps qui nous entraîne
N’attend pas que la joie humaine
Fleurisse longtemps sur son cours !
Race éphémère et fugitive,
Que peux-tu semer sur la rive
De ce torrent qui fuit toujours ?

Il fuit et ses rives fanées
M’annoncent déjà qu’il est tard !
Il fuit, et mes vertes années
Disparaissent de mon regard ;
Chaque projet, chaque espérance
Ressemble à ce liège qu’on lance
Sur la trace des matelots,
Qui ne s’éloigne et ne surnage
Que pour mesurer le sillage
Du navire qui fend les flots !

Où suis-je? Est-ce moi ? Je m’éveille
D’un songe qui n’est pas fini !
Tout était promesse et merveille
Dans un avenir infini !
J’étais jeune !… Hélas ! mes années
Sur ma tête tombent fanées
Et ne refleuriront jamais !
Mon coeur était plein !… il est vide !
Mon sein fécond … il est aride !
J’aimais !.., où sont ceux que j’aimais ?

Mes jours, que le deuil décolore,
Glissent avant d’être comptés;
Mon coeur, hélas ! palpite encore
De ses dernières voluptés !
Sous mes pas la terre est couverte
De plus d’une palme encor verte,
Mais qui survit à mes désirs ;
Tant d’objets chers à ma paupière
Sont encor là, sur la poussière
Tièdes de mes brûlants soupirs !

Je vois passer, je vois sourire
La femme aux perfides appas
Qui m’enivra d’un long délire,
Dont mes lèvres baisaient les pas !
Ses blonds cheveux flottent encore,
Les fraîches couleurs de l’aurore
Teignent toujours son front charmant,
Et dans l’azur de sa paupière
Brille encore assez de lumière
Pour fasciner l’oeil d’un amant.

La foule qui s’ouvre à mesure
La flatte encor d’un long coup d’oeil
Et la poursuit d’un doux murmure
Dont s’enivre son jeune orgueil;
Et moi! je souris et je passe,
Sans effort de mon coeur j’efface
Ce songe de félicité,
Et je dis, la pitié dans l’âme :
Amour ! se peut-il que ta flamme
Meure encore avant la beauté ?

Hélas ! dans une longue vie
Que reste-t-il après l’amour ?
Dans notre paupière éblouie
Ce qu’il reste après un beau jour !
Ce qu’il reste à la voile vide
Quand le dernier vent qui la ride
S’abat sur le flot assoupi,
Ce qu’il reste au chaume sauvage,
Lorsque les ailes de l’orage
Sur la terre ont vidé l’épi !

Et pourtant il faut vivre encore,
Dormir, s’éveiller tour à tour,
Et traîner d’aurore en aurore
Ce fardeau renaissant des jours?
Quand on a bu jusqu’à la lie
La coupe écumante de vie,
Ah ! la briser serait un bien !
Espérer, attendre, c’est vivre !
Que sert de compter et de suivre
Des jours qui n’apportent plus rien ?


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