Phèdre ACTE troisième Scène première

Dans  Phèdre
Evaluer cet article
Phèdre ACTE troisième Scène première

Phèdre par Jean Racine

Phèdre, Œnone

PHÈDRE

Ah ! que l’on porte ailleurs les honneurs qu’on m’envoie:

Importune, peux-tu souhaiter qu’on me voie ?

De quoi viens-tu flatter mon esprit désolé ?

Cache-moi bien plutôt: je n’ai que trop parlé.

Mes fureurs au dehors ont osé se répandre:

J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre.

Ciel ! comme il m’écoutait ! Par combien de détours

L’insensible a longtemps éludé mes discours !

Comme il ne respirait qu’une retraite prompte !

Et combien sa rougeur a redoublé ma honte !

Pourquoi détournais-tu mon funeste dessein !

Hélas ! quand son épée allait chercher mon sein,

A-t-il pâli pour moi ? me l’a-t-il arrachée ?

Il suffit que ma main l’ait une fois touchée,

Je l’ai rendue horrible à ses yeux inhumains;

Et ce fer malheureux profanerait ses mains.

ŒNONE

Ainsi, dans vos malheurs ne songeant qu’à vous plaindre,

Vous nourrissez un feu qu’il vous faudrait éteindre.

Ne vaudrait-il pas mieux, digne sang de Minos,

Dans de plus nobles soins chercher votre repos;

Contre un ingrat qui plaît recourir à la fuite,

Régner, et de l’État embrasser la conduite ?

PHÈDRE

Moi, régner ! Moi, ranger un État sous ma loi

Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !

Lorsque j’ai de mes sens abandonné l’empire !

Quand sous un joug honteux à peine je respire !

Quand je me meurs !

ŒNONE

Quand je me meurs ! Fuyez.

PHÈDRE

Quand je me meurs ! Fuyez. Je ne le puis quitter.

ŒNONE

Vous l’osâtes bannir, vous n’osez l’éviter ?

PHÈDRE

Il n’est plus temps: il sait mes ardeurs insensées.

De l’austère pudeur les bornes sont passées:

J’ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur,

Et l’espoir malgré moi s’est glissé dans mon cœur.

Toi-même, rappelant ma force défaillante,

Et mon âme déjà sur mes lèvres errante,

Par tes conseils flatteurs tu m’as su ranimer:

Tu m’as fait entrevoir que je pouvais l’aimer.

ŒNONE

Hélas ! de vos malheurs innocente ou coupable,

De quoi pour vous sauver n’étais-je point capable ?

Mais si jamais l’offense irrita vos esprits,

Pouvez-vous d’un superbe oublier les mépris ?

Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée

Vous laissait à ses pieds peu s’en faut prosternée !

Que son farouche orgueil le rendait odieux !

Que Phèdre en ce moment n’avait-elle mes yeux !

PHÈDRE

Œnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse;

Nourri dans les forêts, il en a la rudesse.

Hippolyte, endurci par de sauvages lois,

Entend parler d’amour pour la première fois:

Peut-être sa surprise a causé son silence;

Et nos plaintes peut-être ont trop de violence.

ŒNONE

Songez qu’une barbare en son sein l’a formé.

PHÈDRE

Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aimé.

ŒNONE

Il a pour tout le sexe une haine fatale.

PHÈDRE

Je ne me verrai point préférer de rivale.

Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison:

Sers ma fureur, Œnone, et non point ma raison.

Il oppose à l’amour un cœur inaccessible;

Cherchons pour l’attaquer quelque endroit plus sensible:

Les charmes d’un empire ont paru le toucher:

Athènes l’attirait, il n’a pu s’en cacher;

Déjà de ses vaisseaux la pointe était tournée,

Et la voile flottait aux vents abandonnée.

Va trouver de ma part ce jeune ambitieux,

Œnone; fais briller la couronne à ses yeux:

Qu’il mette sur son front le sacré diadème;

Je ne veux que l’honneur de l’attacher moi-même.

Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.

Il instruira mon fils dans l’art de commander;

Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père;

Je mets sous son pouvoir et le fils et la mère.

Pour le fléchir enfin tente tous les moyens:

Tes discours trouveront plus d’accès que les miens;

Presse, pleure, gémis; peins-lui Phèdre mourante;

Ne rougis point de prendre une voix suppliante:

Je t’avouerai de tout; je n’espère qu’en toi.

Va: j’attends ton retour pour disposer de moi.

Phèdre ACTE troisième Scène première

La pièce de Théâtre Phèdre par Jean Racine.



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/