Le Cid ACTE V Scène VII

Dans  Le Cid de Pierre Corneille
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Le Cid ACTE V Scène VII

Don Fernand, don Diègue, don Arias, don Rodrigue, don Alonse, don Sanche, l’infante, Chimène, Léonor, Elvire

L’infante

Sèche tes pleurs, Chimène, et reçois sans tristesse

Ce généreux vainqueur des mains de ta princesse.

Don Rodrigue

Ne vous offensez point, sire, si devant vous

Un respect amoureux me jette à ses genoux.

Je ne viens point ici demander ma conquête:

Je viens tout de nouveau vous apporter ma tête,

Madame; mon amour n’emploiera point pour moi

Ni la loi du combat, ni le vouloir du roi.

Si tout ce qui s’est fait est trop peu pour un père,

Dites par quels moyens il vous faut satisfaire.

Faut-il combattre encor mille et mille rivaux,

Aux deux bouts de la terre étendre mes travaux,

Forcer moi seul un camp, mettre en fuite une armée,

Des héros fabuleux passer la renommée ?

Si mon crime par là se peut enfin laver,

J’ose tout entreprendre, et puis tout achever:

Mais si ce fier honneur, toujours inexorable,

Ne se peut apaiser sans la mort du coupable,

N’armez plus contre moi le pouvoir des humains:

Ma tête est à vos pieds, vengez-vous par vos mains;

Vos mains seules ont droit de vaincre un invincible;

Prenez une vengeance à tout autre impossible;

Mais du moins que ma mort suffise à me punir.

Ne me bannissez point de votre souvenir;

Et, puisque mon trépas conserve votre gloire,

Pour vous en revancher conservez ma mémoire,

Et dites quelquefois, en déplorant mon sort:

” S’il ne m’avait aimée, il ne serait pas mort. ”

Chimène

Relève-toi, Rodrigue. Il faut l’avouer, sire,

Je vous en ai trop dit pour m’en vouloir dédire.

Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr:

Et quand un roi commande, on lui doit obéir.

Mais, à quoi que déjà vous m’ayez condamnée,

Pourrez-vous à vos yeux souffrir cet hyménée ?

Et quand de mon devoir vous voulez cet effort,

Toute votre justice en est-elle d’accord ?

Si Rodrigue à l’État devient si nécessaire,

De ce qu’il fait pour vous dois-je être le salaire,

Et me livrer moi-même au reproche éternel

D’avoir trempé mes mains dans le sang paternel ?

Don Fernand

Le temps assez souvent a rendu légitime

Ce qui semblait d’abord ne se pouvoir sans crime.

Rodrigue t’a gagnée, et tu dois être à lui.

Mais, quoique sa valeur t’ait conquise aujourd’hui,

Il faudrait que je fusse ennemi de ta gloire

Pour lui donner sitôt le prix de sa victoire.

Cet hymen différé ne rompt point une loi

Qui, sans marquer de temps, lui destine ta foi.

Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes.

Rodrigue, cependant il faut prendre les armes.

Après avoir vaincu les Maures sur nos bords,

Renversé leurs desseins, repoussé leurs efforts,

Va jusqu’en leur pays leur reporter la guerre,

Commander mon armée et ravager leur terre.

À ce nom seul de Cid ils trembleront d’effroi;

Ils t’ont nommé seigneur, et te voudront pour roi.

Mais parmi tes hauts faits sois-lui toujours fidèle;

Reviens-en, s’il se peut, encor plus digne d’elle;

Et par tes grands exploits, fais-toi si bien priser

Qu’il lui soit glorieux alors de t’épouser.

Don Rodrigue

Pour posséder Chimène, et pour votre service,

Que peut-on m’ordonner que mon bras n’accomplisse ?

Quoi qu’absent de ses yeux il me faille endurer,

Sire, ce m’est trop d’heur de pouvoir espérer.

Don Fernand

Espère en ton courage, espère en ma promesse;

Et possédant déjà le cœur de ta maîtresse,

Pour vaincre un point d’honneur qui combat contre toi,

Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi.

Le Cid ACTE V Scène VII

La pièce de Théâtre Le Cid par Pierre Corneille.



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