Le Bourgeois gentilhomme par Molière
Monsieur Jourdain, Madame Jourdain, Dorante, Nicole.
Monsieur Jourdain
Voilà deux cents louis bien comptés.
Dorante
Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la cour.
Monsieur Jourdain
Je vous suis trop obligé.
Dorante
Si Madame Jourdain veut voir le divertissement royal, Je lui ferai donner les meilleures places de la salle.
Madame Jourdain
Madame Jourdain vous baise les mains.
Dorante, bas à M. Jourdain.
Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon billet, viendra tantôt ici pour le ballet et le repas; je l’ai fait consentir enfin au régal que vous lui voulez donner.
Monsieur Jourdain
Tirons-nous un peu plus loin, pour cause.
Dorante
Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du diamant que vous me mîtes entre les mains pour lui en faire présent de votre part; mais c’est que j’ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule, et ce n’est que d’aujourd’hui qu’elle s’est résolue à l’accepter.
Monsieur Jourdain
Comment l’a-t-elle trouvé ?
Dorante
Merveilleux; et je me trompe fort, ou la beauté de ce diamant fera pour vous sur son esprit un effet admirable.
Monsieur Jourdain
Plût au Ciel !
Madame Jourdain
Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter.
Dorante
Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce présent et la grandeur de votre amour.
Monsieur Jourdain
Ce sont, Monsieur, des bontés qui m’accablent; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une personne de votre qualité s’abaisser pour moi à ce que vous faites.
Dorante
Vous moquez-vous ? est-ce qu’entre amis on s’arrête à ces sortes de scrupules ? et ne feriez-vous pas pour moi la même chose, si l’occasion s’en offrait ?
Monsieur Jourdain
Ho ! assurément, et de très grand cœur.
Madame Jourdain
Que sa présence me pèse sur les épaules !
Dorante
Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un ami; et lorsque vous me fîtes confidence de l’ardeur que vous aviez prise pour cette marquise agréable chez qui j’avais commerce, vous vîtes que d’abord je m’offris de moi-même à servir votre amour.
Monsieur Jourdain
Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent.
Madame Jourdain
Est-ce qu’il ne s’en ira point ?
Nicole
Ils se trouvent bien ensemble.
Dorante
Vous avez pris le bon biais pour toucher son cœur: les femmes aiment surtout les dépenses qu’on fait pour elles; et vos fréquentes sérénades, et vos bouquets continuels, ce superbe feu d’artifice qu’elle trouva sur l’eau, le diamant qu’elle a reçu de votre part, et le régal que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre amour que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous-même.
Monsieur Jourdain
Il n’y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvais trouver le chemin de son cœur. Une femme de qualité a pour moi des charmes ravissants, et c’est un honneur que j’achèterais au prix de toute chose.
Madame Jourdain
Que peuvent-ils tant dire ensemble ? Va-t’en un peu tout doucement prêter l’oreille.
Dorante
Ce sera tantôt que vous jouirez à votre aise du plaisir de sa vue, et vos yeux auront tout le temps de se satisfaire.
Monsieur Jourdain
Pour être en pleine liberté, j’ai fait en sorte que ma femme ira dîner chez ma sœur, où elle passera toute l’après-dînée.
Dorante
Vous avez fait prudemment, et votre femme aurait pu nous embarrasser. J’ai donné pour vous l’ordre qu’il faut au cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le ballet. Il est de mon invention; et pourvu que l’exécution puisse répondre à l’idée, je suis sûr qu’il sera trouvé…
Monsieur Jourdain s’aperçoit que Nicole écoute, et lui donne un soufflet.
Ouais, vous êtes bien impertinente. Sortons, s’il vous plaît.
Le Bourgeois gentilhomme ACTE III Scène VI
La pièce de Théâtre Le Bourgeois gentilhomme par Molière