L’Avare ACTE III Scène 11

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L’Avare ACTE III Scène 11

Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine, Brindavoine.

Harpagon

Voici mon fils aussi qui vous vient faire la révérence.

Mariane bas, à Frosine.

Ah ! Frosine, quelle rencontre ! C’est justement celui dont je t’ai parlé.
Frosine à Mariane.

L’aventure est merveilleuse.

Harpagon

Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands enfants; mais je serai bientôt défait et de l’un et de l’autre.

Cléante à Mariane.

Madame, à vous dire le vrai, c’est ici une aventure où, sans doute, je ne m’attendais pas; et mon père ne m’a pas peu surpris lorsqu’il m’a dit tantôt le dessein qu’il avait formé.

Mariane


Je puis dire la même chose. C’est une rencontre imprévue, qui m’a surprise autant que vous; et je n’étais point préparée à une pareille aventure.

Cléante

Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m’est une sensible joie que l’honneur de vous voir; mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment, je vous l’avoue, est trop difficile pour moi, et c’est un titre, s’il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal aux yeux de quelques-uns; mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre comme il faudra; que c’est un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance; que vous n’ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts, et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de mon père, que, si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se ferait point.

Harpagon

Voilà un compliment bien impertinent ! Quelle belle confession à lui faire !

Mariane

Et moi, pour vous répondre, j’ai à vous dire que les choses sont fort égales; et que si vous auriez de la répugnance à me voir votre belle-mère, je n’en aurais pas moins, sans doute, à vous voir mon beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du déplaisir; et si je ne m’y vois forcée par une puissance absolue, je vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine.

Harpagon

Elle a raison. A sot compliment, il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma belle, de l’impertinence de mon fils: c’est un jeune sot qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu’il dit.

Mariane

Je vous promets que ce qu’il m’a dit ne m’a point du tout offensée; au contraire, il m’a fait plaisir de m’expliquer ainsi ses véritables sentiments. J’aime de lui un aveu de la sorte; et s’il avait parlé d’autre façon, je l’en estimerais bien moins.

Harpagon

C’est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu’il changera de sentiments.

Cléante

Non, mon père, je ne suis pas capable d’en changer, et je prie instamment Madame de le croire.

Harpagon

Mais voyez quelle extravagance ! il continue encore plus fort.

Cléante

Voulez-vous que je trahisse mon cœur ?

Harpagon

Encore ! Avez-vous envie de changer de discours ?

Cléante

Eh bien, puisque vous voulez que je parle d’autre façon, souffrez, Madame, que je me mette ici à la place de mon père, et que je vous avoue que je n’ai rien vu dans le monde de si charmant que vous; que je ne conçois rien d’égal au bonheur de vous plaire, et que le titre de votre époux est une gloire, une félicité que je préférerais aux destinées des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur de vous posséder est, à mes regards, la plus belle de toutes les fortunes; c’est où j’attache toute mon ambition. Il n’y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse; et les obstacles les plus puissants…

Harpagon

Doucement, mon fils, s’il vous plaît.

Cléante

C’est un compliment que je fais pour vous à Madame.

Harpagon

Mon Dieu, j’ai une langue pour m’expliquer moi-même, et je n’ai pas besoin d’un interprète comme vous. Allons, donnez des sièges.

Frosine

Non; il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d’en revenir plus tôt et d’avoir tout le temps ensuite de nous entretenir.

Harpagon à Brindavoine.

Qu’on mette donc les chevaux au carrosse.

L’Avare par Jean Baptiste Poquelin: Molière



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