Adonis

Dans  Recits poètiques
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Monseigneur,

Je n’ai pas assez de vanité pour espérer que ces fruits

de ma solitude vous puissent plaire: les plus beaux vergers du

Parnasse en produisent peu qui méritent de vous être offerts.

Votre esprit est doué de tant de lumière, et fait voir un goût

si exquis et si délicat pour tous nos ouvrages, particulièrement pour le bel art de célébrer

les hommes qui vous ressemblent avec le langage des dieux,

que peu de personnes seraient capables de vous satisfaire.

Je ne suis pas de ce petit nombre, et je ne serais contenté,

Monseigneur, de vous révérer au fond de mon âme,

si le zèle que j’ai pour

vous eût pu souffrir des bormes si étroites et garder un silence respectueux.

Certes, votre mérite nous réduit tous à la nécesité d’un choix bien difficile;

il est malaisé de s’en taire, et l’on ne saurait en parler assez dignement.

Car, quand je dirai que l’état ne se peut passer de vos soins,

et que les ministres de plus d’un règne n’ont point acquis une expérience si consommée que la vôtre;

quand je dirai que vous estimez nos veilles, et que c’est une marque à laquelle

on a toujours reconnu les grands hommes, quand je parlerai de votre générosité sans exemple,

de la grandeur de tous vos sentiments, de cette modestie qui nous chârme; enfin,

quand j’avouerai que votre esprit est infiniment élevé, et qu’avec cela,

j’avouerai encore que votre âme l’est davantage que votre esprit,

ce seront quelques traits de vous à la vérité, mais ce ne sera point

ce grand nombre de rares qualités qui vous fait admirer de tout ce qu’il y a d’honnêtes gens dans la France.

Et non seulement, Monseigneur, vous attirez leur admiration,

vous les contraignez même par une douce violence de vous aimer.

On ne l’a que trop remarqué pendant cet extrême péril,

dont vous ne faites que de sortir.

Vous savez bien qu’il vous regarde comme le héros destiné

pour vaincre de la dureté de notre siècle et le mépris

de tous les beaux-arts. Les muses, qui commençaient à se consoler de la mort d’Armand

par l’estime que vous faites d’elle, en vous voyant malade, se voyaient sur le point de perdre encore une fois leur amour;

elles se condamnaient déjà à une solitude perpétuelle, et la gloire, avec tous ses charmes,

allait devenir une chose indifférente à ceux d’entre nous qui en ont toujours été les plus amoureux.

Le ciel nous a garantis du malheur qui nous menaçait: agréez, Monseigneur,

que je vous en témoigne ma joie, en vus offrant mon dernier ouvrage.

Ce sont les amours de Vénus et d’Adonis, c’est la fin malheureuse de ce beau chasseur,

sur le tombeau duquel on a vu toutes les dames grecques pleurer et que la divine mère d’amour

a regretté pendant tout le temps du paganisme,

elle qui n’avait pas accoutumé de jeter des larmes pour la perte de ses amants.

Si la matière vous en semble assez belle, et que je sois assez heureux

pour obtenir quelques moments de votre loisir, ne jugez pas de moi par le mérite de mon courage,

mais par le respect avec lequel je suis,

MONSEIGNEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Jean de la Fontaine
Fable de Jean de la Fontaine

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