Le Calendrier des Vieillards

Dans  Contes Libertins 2nd partie
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N’ose éclater: soyez sur qu’à mon cou,
Si j’étais seul, elle serait sautée.
Pagamin dit : Qu’il ne tienne à cela:
Dedans sa chambre allez, conduisez-la.
Ce qui fut fait: et la chambre fermée;
Richard commence: Et là, Bartholomée,
Comme tu fais ! je suis ton Quinzica,
Toujours le même à l’endroit de sa femme.
Regarde-moi. Trouves-tu, ma chère âme,
En mon visage un si grand changement !
C’est la douleur de ton enlèvement
Qui, me rend tel; et toi seule en es cause.
T’ai-je jamais refusé nulle chose,
Soit pour ton jeu, soit pour tes vêtements ?
En était-il quelqu’une de plus brave?
De ton vouloir ne me rendais-je esclave ?
Tu le seras étant avec ces gens.
Et ton honneur, que crois-tu qu’il devienne ?
Ce qu’il pourra, répondit brusquement Bartholomée.
Est-il temps maintenant
D’en avoir soin ? s’en est-on mis en peine
Quand malgré moi l’on m’a jointe avec vous ?
Vous vieux penard, moi fille jeune et drue ,
Qui méritais d’être un peu mieux pourvue,
Et de goûter ce qu’Hymen a de doux.
Pour cet effet j’étais assez aimable;
Et me trouvais aussi digne, entre nous,
De ces plaisirs, que j’en étais capable.
Or est le cas allé d’autre façon.
J’ai pris mari qui pour toute chanson
N’a jamais eu que quelques jours de férie;
Mais Pagamin, sitôt qu’il m’eut ravie,
Me sut donner bien une autre leçon.
J’ai plus appris des choses de la vie
Depuis deux jours, qu’en quatre ans avec vous.
Laissez-moi donc, Monsieur mon cher époux.
Sur mon retour n’insistez davantage.
Calendriers ne sont point en usage
Chez Pagamin: je vous en avertis.
Vous et les miens avez mérite pis.
Vous pour avoir mal mesuré vos forces
En m’épousant; eux pour être mépris
En préférant les légères amorces
De quelque bien à cet autre point-là.
Mais Pagamin pour tous y pourvoira.
Il ne sait loi, ni digeste, ni code;
Et cependant très bonne est sa méthode.
De ce matin lui-même il vous dira
Du quart en sus comme la chose en va.
Un tel aveu vous surprend et vous touche:
Mais faire ici de la petite bouche
Ne sert de rien; l’on n’en croira pas moins.
Et puisque enfin nous voici sans témoins:
Adieu vous dis, vous, et vos jours de fête.
Je suis de chair. Les habits rien n’y font:
Vous savez bien, Monsieur, qu’entre la tête
Et le talon d’autres affaires sont.
A tant se tut. Richard-tombé des nues,
Fut tout heureux de pouvoir s’en aller.
Bartholomée ayant ses hontes bues
Ne se fit pas tenir pour demeurer.
Le pauvre époux en eut tant de tristesse,
Outre les maux qui suivent la vieillesse,
Qu’il en mourut à quelques jours de là;
Et Pagamin prit à femme sa veuve.
Ce fut bien fait: nul des deux ne tomba
Dans l’accident du pauvre Quinzica,
S’étant choisis l’un et l’autre à l’épreuve.
Belle leçon pour gens à cheveux gris;
Sinon qu’ils soient d’humeur accommodante:
Car en ce cas Messieurs les favoris
Font leur ouvrage, et la dame est contente.
Jean de la Fontaine
Fable la Fontaine

 


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