Poil de Carotte

Romans Jules Renard

Le Chat

I

Poil de Carotte l’a entendu dire: rien ne vaut la viande de chat pour pêcher les écrevisses, ni les tripes d’un poulet, ni les déchets d’une boucherie.

Or il connaît un chat, méprisé parce qu’il est vieux, malade, et çà et là, pelé. Poil de Carotte l’invite à venir prendre une tasse de lait chez lui, dans son toiton. Ils seront seuls. Il se peut qu’un rat s’aventure hors du mur, mais Poil de Carotte ne promet que la tasse de lait. Il l’a posée dans un coin. Il y pousse le chat et dit:

— Régale-toi.

Il lui flatte l’échine, lui donne des noms tendres, observe ses vifs coups de langue, puis s’attendrit.

— Pauvre vieux, jouis de ton reste.

Lire la suite...

Les Moutons

Poil de Carotte n’aperçoit d’abord que de vagues boules sautantes. Elles poussent des cris étourdissants et mêlés, comme des enfants qui jouent sous un préau d’école. L’une d’elle se jette dans ses jambes, et il en éprouve quelque malaise. Une autre bondit en pleine projection de lucarne. C’est un agneau. Poil de Carotte sourit d’avoir eu peur. Ses yeux s’habituent graduellement à l’obscurité, et les détails se précisent.

L’époque des naissances a commencé. Chaque matin, le fermier Pajol compte deux ou trois agneaux de plus. Il les trouves égarés parmi les mères, gauches, flageolant sur leurs pattes raides: quatre morceaux de bois d’une sculpture grossière.

Poil de Carotte n’ose pas encore les caresser. Plus hardis, ils suçotent déjà ses souliers, ou posent leurs pieds de devant sur lui, un brin de foin dans la bouche.
Lire la suite...

Parrain

Quelquefois madame Lepic permet à Poil de Carotte d’aller voir son parrain et même de coucher avec lui. C’est un vieil homme bourru, solitaire, qui passe sa vie à la pêche ou dans la vigne. Il n’aime personne et ne supporte que Poil de Carotte.

— Te voilà, canard ! dit-il.

— Oui, parrain, dit Poil de Carotte sans l’embrasser, m’as-tu préparé ma ligne ?

— Nous en aurons assez d’une pour nous deux, dit parrain.

Poil de Carotte ouvre la porte de la grange et voit sa ligne prête. Ainsi son parrain le taquine toujours, mais Poil de Carotte averti ne se fâche plus et cette manie du vieil homme complique à peine leurs relations. Quand il dit oui, il veut dire non et réciproquement. Il ne s’agit que de ne pas s’y tromper.

Lire la suite...

La Fontaine

Il ne couche pas avec son parrain pour le plaisir de dormir. Si la chambre est froide, le lit de plume est trop chaud, et la plume, douce aux vieux membres du parrain, met vite le filleul en nage. Mais il couche loin de sa mère.

— Elle te fait donc bien peur ? dit parrain.

Poil de Carotte: Où plutôt, moi je ne lui fais pas assez peur. Quand elle veut donner une correction à mon frère, il saute sur un manche de balai, se campe devant elle, et je te jure qu’elle s’arrête court. Aussi elle préfère le prendre par les sentiments. Elle dit que la nature de Félix est si susceptible qu’on n’en ferait rien avec des coups et qu’ils s’appliquent mieux à la mienne.
Lire la suite...

Les Prunes

Quelque temps agités, ils remuent dans la plume et le parrain dit:

— Canard, dors-tu ?

Poil de Carotte: Non, parrain.

Parrain: Moi non plus. J’ai envie de me lever. Si tu veux, nous allons chercher des vers.

— C’est une idée, dit Poil de Carotte.

Ils sautent du lit, s’habillent, allument une lanterne et vont dans le jardin.

Poil de Carotte porte la lanterne, et le parrain une boîte de fer-blanc, à moitié pleine de terre mouillée. Il y entretient une provision de vers pour se pêche. Il les recouvre d’une mousse humide, de sorte qu’il n’en manque jamais. Quand il a plu toute la journée, la récolte est abondante.

Lire la suite...

Mathilde

— Tu sais, maman, dit sœur Ernestine essoufflée à madame Lepic, Poil de Carotte joue encore au mari et à la femme avec la petite Mathilde, dans le pré. Grand frère Félix les habille. C’est pourtant défendu, si je ne me trompe.

En effet, dans le pré, la petite Mathilde se tient immobile et raide sous sa toilette de clématite sauvage à fleurs blanches. Toute parée, elle semble vraiment une fiancée garnie d’oranger. Et elle en a, de quoi calmer toutes les coliques de la vie.

La clématite, d’abord nattée en couronne sur la tête, descend par flots sous le menton, derrière le dos, le long des bras, volubile, enguirlande la taille et forme à terre une queue rampante que grand frère Félix ne se lasse pas d’allonger.
Lire la suite...

Le Coffre-Fort

Le lendemain, comme Poil de Carotte rencontre Mathilde, elle lui dit:

— Ta maman est venue tout rapporter à ma maman et j’ai reçu une bonne fessée. Et toi ?

Poil de Carotte: Moi, je ne me rappelle plus. Mais tu ne méritais pas d’être battue, nous ne faisions rien de mal.

Mathilde: Non, pour sûr.

Poil de Carotte: Je t’affirme que je parlais sérieusement quand je te disais que je me marierais bien avec toi.

Mathilde: Moi, je me marierais bien avec toi aussi.

Lire la suite...

Les Têtards

Poil de Carotte joue seul dans la cour, au milieu, afin que madame Lepic puisse le surveiller par la fenêtre, et il s’exerce à jouer comme il faut, quand le camarade Rémy paraît. C’est un garçon du même âge, qui boite et veut toujours courir, de sorte que sa jambe gauche infirme traîne derrière l’autre et ne la rattrape jamais. Il porte un panier et dit:

— Viens-tu, Poil de Carotte ? Papa me le chanvre dans la rivière. Nous l’aiderons et nous pêcherons des têtards avec des paniers.

— Demande le à maman, dit Poil de Carotte.

Rémy: Pourquoi moi ?

Poil de Carotte: Parce qu’à moi elle ne me donnera pas la permission. Juste, madame Lepic se montre à la fenêtre.

Lire la suite...

SCÈNE PREMIÈRE

Madame Lepic

Où vas-tu ?

Poil de Carotte
Il a mis sa cravate neuve et craché sur ses souliers à les noyer

Je vais me promener avec papa.

Madame Lepic

Je te défends d’y aller, tu m’entends ? Sans ça… Sa main droite recule comme pour prendre son élan.
Lire la suite...

En Chasse

M. Lepic emmène ses fils à la chasse alternativement. Ils marchent derrière lui, un peu sur sa droite, à cause de la direction du fusil, et portent le carnier. M. Lepic est un marcheur infatigable. Poil de Carotte met un entêtement passionné à le suivre, sans se plaindre. Ses souliers se blessent, il n’en dit mot, et ses doigts se cordellent; le bout de ses orteils enfle, ce qui leur donne la forme de petits marteaux.

Si M. Lepic tue un lièvre au début de la chasse, il dit:

— Veux-tu le laisser à la première ferme ou le cacher dans une haie, et nous le reprendrons ce soir ?

— Non, papa, dit Poil de Carotte, j’aime mieux le garder.

Il lui arrive de porter une journée entière deux lièvres et cinq perdrix.

Lire la suite...

Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/