L’humanité – suite de Jehova

Dans  Harmonies poétiques et religieuses
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Un homme ! un fils, un roi de la nature entière !
Insecte né de boue et qui vit de lumière !
Qui n’occupe qu’un point, qui n’a que deux instants,
Mais qui de l’Infini par la pensée est maître,
Et reculant sans fin les bornes de son être,
S’étend dans tout l’espace et vit dans tous les temps !

Il naît, et d’un coup d’oeil il s’empare du monde,
Chacun de ses besoins soumet un élément,
Pour lui germe l’épi, pour lui s’épanche l’onde,
Et le feu, fils du jour, descend du firmament !

L’instinct de sa faiblesse est sa toute-puissance;
Pour lui l’insecte même est un objet d’effroi,
Mais le sceptre du globe est à l’intelligence ;
L’homme s’unit à l’homme, et la terre a son roi !

Il regarde, et le jour se peint dans sa paupière ;
Il pense, et l’univers flans son âme apparaît !
Il parle, et son accent, comme une autre lumière,
Va dans l’âme d’autrui se peindre trait pour trait !

Il se donne des sens qu’oublia la nature,
Jette un frein sur la vague au vent capricieux.
Lance la mort au but que son calcul mesure,
Sonde avec un cristal les abîmes des cieux !

Il écrit, et les vents emportent sa pensée
Qui va dans tous les cieux vivre et s’entretenir !
Et son âme invisible en traits vivants tracée
Ecoute le passé qui parle à l’avenir !

Il fonde les cités, familles immortelles ;
Et pour les soutenir il élève les lois,
Qui, de ces monuments colonnes éternelles,
Du temple social se divisent le poids !

Après avoir conquis la nature, il soupire ;
Pour un plus noble prix sa vie a combattu ;
Et son coeur vide encor, dédaignant son empire,
Pour s’égaler aux dieux inventa la vertu !

Il offre en souriant sa vie en sacrifice,
Il se confie au Dieu que son oeil ne voit pas ;
Coupable, a le remords qui venge la justice,
Vertueux, une voix qui l’applaudit tout bas !

Plus grand que son destin, plus grand que la nature,
Ses besoins satisfaits ne lui suffisent pas,
Son âme a des destins qu’aucun oeil ne mesure,
Et des regards portant plus loin que le trépas !

Il lui faut l’espérance, et l’empire et la gloire,
L’avenir à son nom, à sa foi des autels,
Des dieux à supplier, des vérités à croire,
Des cieux et des enfers, et des jours immortels !

Mais le temps tout à coup manque à sa vie usée,
L’horizon raccourci s’abaisse devant lui,
Il sent tarir ses jours comme une onde épuisée,
Et son dernier soleil a lui !

Regardez-le mourir !… Assis sur le rivage
Que vient battre la vague où sa nef doit partir,
Le pilote qui sait le but de son voyage
D’un coeur plus rassuré n’attend pas le zéphyr !

On dirait que son oeil, qu’éclaire l’espérance,
Voit l’immortalité luire sur l’autre bord,
Au-delà du tombeau sa vertu le devance,
Et, certain du réveil, le jour baisse, il s’endort !

Et les astres n’ont plus d’assez pure lumière,
Et l’Infini n’a plus d’assez vaste séjour,
Et les siècles divins d’assez longue carrière
Pour l’âme de celui qui n’était que poussière
Et qui n’avait qu’un jour !

Voilà cet instinct qui l’annonce
Plus haut que l’aurore et la nuit.
Voilà l’éternelle réponse
Au doute qui se reproduit !
Du grand livre de la nature,
Si la lettre, à vos yeux obscure,
Ne le trahit pas en tout lieu,
Ah ! l’homme est le livre suprême :
Dans les fibres de son coeur même
Lisez, mortels : Il est un Dieu !

 

Harmonies poétiques et religieuses

Alphonse de Lamartine


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