Le Poète Contumace

Dans  Les Amours jaunes
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Dans mon escalier que dore … un lumignon.
Dans le mur qui verdoie existe une pervenche
Sèche.—… Et puis nous irons à l'eau faire la planche
—Planches d'épave au sec—comme moi—sur ces plages.
La Mer roucoule sa Berceuse pour naufrages;
Barcarolle du soir … pour les canards sauvages.»
«En Paul et Virginie, et virginaux—veux-tu—
Nous nous mettrons au vert du paradis perdu….
Ou Robinson avec Vendredi—c'est facile—
La pluie a déjà fait, de mon royaume, une île.»
«Si pourtant, près de moi, tu crains la solitude,
Nous avons des amis, sans fard—Un braconnier;
Sans compter un caban bleu qui, par habitude,
Fait toujours les cent-pas et contient un douanier….
Plus de clercs d'huissier! J'ai le clair de la lune,
Et des amis pierrots amoureux sans fortune.»
—«Et nos nuits!… Belles nuits pour l'orgie à la tour!…
Nuits à la Roméo!—Jamais il ne fait jour.—
La Nature au réveil—réveil de déchaînée—
Secouant son drap blanc … éteint ma cheminée.
Voici mes rossignols … rossignols d'ouragans—
Gais comme des poinçons—sanglots de chats-huans!
Ma girouette dérouille en haut sa tyrolienne
Et l'on entend gémir ma porte éolienne,
Comme chez saint Antoine en sa tentation….
Oh viens! joli Suppôt de la séduction!»
—«Hop! les rats du grenier dansent des farandoles!
Les ardoises du toit roulent en castagnoles!
Les Folles-du-logis….
Non, je n'ai plus de Folles!»
… «Comme je revendrais ma dépouille à Satan
S'il me tentait avec un petit Revenant….
—Toi—Je te vois partout, mais comme un voyant blême,
Je t'adore…. Et c'est pauvre: adorer ce qu'on aime!
Apparais, un poignard dans le coeur!—Ce sera,
Tu sais bien, comme dans Inès de La Sierra….
—On frappe … oh! c'est quelqu'un….
Hélas! oui, c'est un rat.»
—«Je rêvasse … et toujours c'est Toi. Sur toute chose,
Comme un esprit follet, ton souvenir se pose:
Ma solitude—Toi!—Mes hiboux à l'oeil d'or:
—Toi!—Ma girouette folle: Oh Toi!…—Que sais-je encor,
—Toi: mes volets ouvrant les bras dans la tempête….
Une lointaine voix: c'est Ta chanson!—c'est fête!…
Les rafales fouaillant Ton nom perdu—c'est bête—
C'est bête, mais c'est Toi! Mon coeur au grand ouvert
Comme mes volets en pantenne,
Bat, tout affolé sous l'haleine
Des plus bizarres courants d'air.»
«Tiens … une ombre portée, un instant, est venue
Dessiner ton profil sur la muraille nue,
Et j'ai tourné la tête….—Espoir ou souvenir—
Ma Soeur Anne, à la tour, voyez-vous pas venir?»….
—«Rien!—je vois … je vois, dans ma froide chambrette,
Mon lit capitonné de satin de brouette;
Et mon chien qui dort dessus—Pauvre animal—
… Et je ris … parce que ça me fait un peu mal.»
«J'ai pris, pour t'appeler, ma vielle et ma lyre.
Mon coeur fait de l'esprit—le sot—pour se leurrer….
Viens pleurer, si mes vers ont pu te faire rire;
Viens rire, s'ils t'ont fait pleurer….»
«Ce sera drôle…. Viens jouer à la misère,
D'après nature:—Un coeur avec une chaumière.—
… Il pleut dans mon foyer, il pleut dans mon coeur feu.
Viens! Ma chandelle est morte et je n'ai plus de feu….»
Sa lampe se mourait. Il ouvrit la fenêtre.
Le soleil se levait. Il regarda sa lettre,
Rit et la déchira…. Les petits morceaux blancs,
Dans la brume, semblaient un vol de goélands.

(Penmarc'h—jour de Noël.)


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