Le Gascon puni

Dans  Contes Libertins 2nd partie
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Il ne lui touche point, vit dedans l’abstinence,
Et, soit par jalousie, ou bien par impuissance,
A retranché d’hymen certains droits d’amitié;
Ronfle toujours, fait la nuit d’une traite:
C’est assez qu’en son lit il trouve une cornette.
Nous vous ajusterons: enfin, ne craignez rien:
Je vous récompenserai bien.
Pour se rendre Philis un peu plus favorable,
Le Gascon eut couché, dit-il, avec le diable.
La nuit vient, on le coiffe, on le met au grand lit,
On éteint les flambeaux, Eurilas prend sa place;
Du Gascon la peur se saisit;
Il devient aussi froid que glace;
N’oserait tousser ni cracher,
Beaucoup moins encor s’approcher:
Se fait petit, se serre, au bord se va nicher,
Et ne tient que moitié de la rive occupée:
Je crois qu’on l’aurait mis dans un fourreau d’épée.
Son coucheur cette nuit se retourna cent fois;
Et jusque sur le nez lui porta certains doigts
Que la peur lui fit trouver rudes.
Le pis de ses inquiétudes,
C’est qu’il craignait qu’enfin un caprice amoureux
Ne prit à ce mari: tels cas sont dangereux,
Lorsque l’un des conjoints se sent privé du somme.
Toujours nouveaux sujets alarmaient le pauvre homme.
L’on étendait un pied; l’on approchait un bras:
Il crut même sentir la barbe d’Eurilas.
Mais voici quelque chose à mon sens de terrible.
Une sonnette était près du chevet du lit:
Eurilas de sonner, et faire un bruit horrible.
Le Gascon se pâme à ce bruit;
Cette fois-là se croit détruit,
Fait un voeu, renonce à sa dame;
Et songe au salut de son âme.
Personne ne venant, Eurilas s’endormit
Avant qu’il fut jour on ouvrit
Philis l’avait promis; quand voici de plus belle
Un flambeau comble de tous maux.
Le Gascon après ces travaux
Se fût bien levé sans chandelle.
Sa perte était alors un point tout assuré.
On approche du lit. Le pauvre homme éclaire
Prie Eurilas qu’il lui pardonne.
Je le veux, dit une personne
D’un ton de voix rempli d’appas.
C’était Philis, qui d’Eurilas
Avait tenu la place, et qui sans trop attendre
Tout en chemise s’alla rendre
Dans les bras de Cloris qu’accompagnait Damon.
C’étais, dis-je, Philis, qui conta du Gascon
La peine et la frayeur extrême
Et qui pour l’obliger à se tuer soi-même,
En lui montrant ce qu’il avait perdu,
Laissait son sein à demi-nu.
Jean de la Fontaine
Fables Jean de la Fontaine
 

 


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