Contre l’hiver. Ode

Dans  Œuvres poétiques
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Tous les vents brisent leurs liens,

Et dans les creux éoliens

Rien n'est resté que le Zéphyre

Qui tient les œillets et les lys

Dans ses poumons ensevelis,

Et triste en la prison soupire

Pour les membres de sa Philis,

Que la tempête lui déchire.

Aujourd'hui mille matelots,

Où ta fureur combats les flots,

Défaillis d'art et de courage

En l'aventure de tes eaux

Ne rencontrent que des tombeaux ;

Car tous les astres de l'orage,

Irrités contre leurs vaisseaux,

Les abandonnent au naufrage.

Mais tous ces maux que je décris

Ne me font point jeter de cris,

Car eusses-tu porté l'abîme

Jusques où nous levons les yeux,

Et d'un débord prodigieux

Trempé le ciel jusqu'à la cime,

Au lieu de t'être injurieux,

Hiver, je louerais ton crime.

Hélas ! le gouffre des malheurs

D'où je puise l'eau de mes pleurs,

Prend bien d'ailleurs son origine :

Mon désespoir dont tu te ris,

C'est la douleur de ma Cloris,

Qui rend toute la Cour chagrine ;

Les dieux qui tous en son marris,

Jurent ensemble ta ruine.

Ce beau corps ne dispose plus

De ses sens dont il est perclus

Par la froideur qui les assiège :

Épargne, hiver, tant de beauté ;

Remets sa voix en liberté ;

Fais que cette douleur s'allège ;

Et pleurant de ta cruauté,

Fais distiller toute la neige.

Qu'elle ne touche de si près

L'ombre noire de tes cyprès ;

Car si tu menaçais sa tête,

Le laurier que tu tiens si cher,

Et que l'éclat n'ose toucher.

Serait sujet à la tempête,

Et les dieux lui feraient sécher

La racine comme le faîte.

Mais si ta crainte ou ta pitié

Veut fléchir mon inimitié,

Sois-lui plus doux que de coutume ;

Ronge nos vignes de muscat

Dont les Muses font tant de cas ;

Mais, à la faveur de ma plume,

Dans ses membres si délicats

Ne ramène jamais le rhume.

Promène tes aquilons

Par la campagne des Gélons,

Grêle dessus les monts de Thrace ;

Mais si jamais tu réprimas

La violence des frimas

Et la pureté de ta glace

Sur les plus tempérés climats,

Le sien toujours ait cette grâce.

Sa maison, comme le saint lieu

Consacré pour le nom d'un dieu,

Rien que pluie d'or ne possède ;

Ta neige fonde sur son toit

Un sacré nectar qui ne soit

Ni brûlant, ni glacé, ni tiède,

Mais tel que Jupiter le boit

Dans la coupe de Ganymède

Si tu m'accordes ce bonheur

Par cet œil que j'ai fait seigneur

D'une âme à l'aimer obstinée,

Je jure que le Ciel lira

Ton nom qu'on n'ensevelira

Qu'au tombeau de la destinée,

Et par moi ta louange ira

Plus loin que la dernière année.


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