Clymène

Dans  Contes Libertins 3eme partie
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ACANTE
Zéphyrs de qui l’haleine
Portait à ces Echos mes soupirs et ma peine
Je viens de vous conter son succès glorieux.
Portez en quelque chose aux oreilles des dieux.
Et toi mon bienfaiteur, Amour, par quelle offrande
Pourrai-je reconnaître une faveur si grande ?
Je te dois des plaisirs compagnons des autels,
Des plaisirs trop exquis pour de simples mortels.
O vous qui visitez quelquefois cet ombrage
Nourrissons des neuf Sœurs…
APOLLON
Sans doute il n’est pas sage:
Sachons ce qu’il veut dire. Acante.
ACANTE, parlant seul.
Adorez-moi
Car si je ne suis dieu, tout au moins je suis roi.
ERATO
Acante.
CLIO
D’aujourd’hui pensez-vous qu’il réponde?
Quand une rêverie agréable et profonde
Occupe son esprit, on a beau lui parler.
ERATO
Quand je m’enrhumerais à force d’appeler
Si faut-il qu’il entende: Acante.
ACANTE
Qui m’appelle ?
ERATO
C’est votre bonne amie Erato.
ACANTE
Que veut-elle ?
ERATO
Vous le saurez; venez.
ACANTE
Dieux ! je vois Apollon.
Sire, pardonnez-moi; dans le sacré vallon
Je ne vous croyais pas.
APOLLON
Levez-vous; et nous dites
Quelles sont ces faveurs soit grandes ou petites
Dont le fils de Vénus a payé vos tourments.
ACANTE
Sire, pour obéir àvos commandements,
Hier au soir je trouvai l’Amour près du Parnasse:
Je pense qu’il suivait quelque Nymphe à la trace.
D’aussi loin qu’il me Vit: Acante, approchez-vous,
Cria-t-il : j’obéis. II me dit d’un ton doux:
Vos vers ont fait valoir mon nom et ma puissance:
Vous ne chantez que moi: je veux pour récompense
Dès demain sans manquer obtenir du destin
Qu’il vous fasse trouver Clymène le matin
Dans son lit endormie, ayant la gorge nue,
Et certaine beauté que depuis peu j’ai vue.
Sans dire quelle elle est. il suffit que l’endroit
M’a fort plu; vous verrez si c’est à juste droit.
Vous êtes connaisseur. Au reste en habile homme
Usez de la faveur que vous fera le somme.
C’est à vous de baiser ou la bouche, ou le sein,
0u cette autre beauté: même j’ai fait dessein
D’en parler à Morphée, afin qu’il vous procure
Assez de temps pour mettre à profit l’aventure
Vous ne pourrez baiser qu’un des trois seulement;
Ou le sein, ou la bouche ,ou cet endroit charmant.
ERATO
Ne nous le nommez pas, afin que je devine.
ACANTE
Je vous le donne en deux.
ERATO
C’est… c’est je m’imagine…
ACANTE
Quoi ?
ERATO
Le bras entier.
ACANTE
Non,.
ERATO
Le pied.
ACANTE
Vous l’avez dit.
Je l’ai vu, dit l’Amour; il est sans contredit
Plus blanc de la moitié que le plus blanc ivoire.
Clymène s’éveillant, comme vous pouvez croire,
Voudra vous témoigner d’abord quelque courroux:
Mais je serai présent et rabattrai les coups:
Le sort et moi rendrons mouton votre tigresse.
Amour n’a pas manqué de tenir sa promesse.
Ce matin j’ai trouvé Clymène dans le lit.
Sire, jusqu’à demain je n’aurais pas décrit
Ses diverses beautés. Une couleur de roses
Par le somme appliquée avait entre autres choses
Rehaussé de son teint la naïve blancheur.
Ses lis ne laissaient pas d’avoir de la fraîcheur.
Elle avait le sein nu: je n’ai point de parole
Quoique dès ma jeunesse instruit dans cette école
Pour vous bien exprimer ce double mont d’attraits.
Quand j’aurais là-dessus épuisé tous les traits,
Et fait pour cette gorge une blancheur nouvelle
Encor n’auriez-vous pas ce qui la rend si belle
La descente, le tour, et le reste des lieux
Qui pour lors m’ont fait roi (j’entends roi par les yeux
Car mes mains n’ont point eu de part à cette joie).
Le sort à mes regards a mis encore en proie
Les merveilles d’un pied sans mentir fait au tour.
Figurez-vous le pied de la mère d’Amour,
Lorsqu’allant des Tritons attirer les œillades
Il dispute du prix avec ceux des Naïades.
Vous pouvez l’avoir vu; Mars peut vous l’avoir dit:
Quant à moi, j’ai vu, Sire, au pied dont il s’agit
Du marbre, de l’albâtre, une plante vermeille:
Thétis I’a, que je pense, ou doit l’avoir pareille.
Quoi qu’il en soit ce pied hors des draps échappé
M’a tenu fort longtemps à le voir occupé.
Pour en venir au point ou j’ai poussé l’affaire:
Quel des trois, ai-je dit, faut-il que je préfère ?
J’ai, si je m’en souviens, un baiser à cueillir,
Et par bonheur pour moi je ne saurois faillir.
Cette bouche m’appelle à son haleine d’ambre.
Cupidon là-dessus est entré dans la chambre:
Je ne sais pas comment; car j’avais fermé tout.
J’ai parcouru le sein de l’un à l’autre bout.
Ceci me tente encore, ai-je dit en moi-même:
Et quand je serais prince, et prince à diadème,
Une telle faveur me rendrait fortune.
Par caprice à la fin m’étant déterminé,
J’ai réservé ces deux pour la première vue
Le pied par sa beauté qui m’était inconnue
M’a fait aller à lui. peut-être ce baiser
M’a paru moins commun, partant plus à priser.
Peut-être par respect j ai rendu cet hommage.
Peut-être aussi j’ai cru que le même avantage
Ne reviendrait jamais, et qu’on ne baise pas
Un beau pied quand on veut, trop bien d’autres appas.
La rencontre après tout me semblait fort heureuse.
Même à mon sens la chose était plus amoureuse:
De dire plus friponne et d’aller jusque-là,
Je n’ai gardé, c’est trop, j’ai, Sire, pour cela
Trop de respect pour vous ainsi que pour Clymène.
Elle s’est éveillée avec assez de peine;
Et m’ayant entrevu, la belle et ses appas
Se sont au même instant cachés au fond des draps.
La honte l’a rendue un peu de temps muette.
Enfin sans se tourner ni quitter sa cachette,
D’un ton fort sérieux et marquant son dépit:
Je vous croyais plus sage, Acante, a-t-elle dit.
Cela ne me plaît point; sortez, et tout a l’heure.
Amour, ai-je repris, me dit que je demeure;
Le voilà; qui croirai-je ? accordez-vous tous deux.
Qui l’Amour ? pensez-vous avec vos Ris, vos Jeux,
Vos Amours, m’amuser ? a reparti Clymène.
Tout doux, a dit l’Amour. Aussitôt l’inhumaine,
Oyant la voix du dieu, s’est tournée, et changeant
De note, prenant même un air tout engageant:
Clymène, a-t-elle dit, tu n’es pas la plus forte.
C’est a toi de fermer une autre fois la porte.
Les voilà deux; encore un dieu s’en mêle-t-il.
Afin qu’Acante sorte, et bien que lui faut-il ?
Qu’il dise les faveurs donc il se juge digne.
J’ai regardé l’Amour; du doigt il m’a fait signe
Je n’ai pas entendu d’abord ce qu’il voulait.
Mais me montrant les traits qu’une bouche étalait,
Il m’a fait à la fin juger par ce langage
Qu’un baiser me viendrait si j’avais du courage.
Or je n’en eus jamais en qualité d’amant.
Amour m’a dit tout bas: Baisez-la hardiment;
Je lui tiendrai les mains; vous n’aurez point d’obstacle.
Je me suis avancé. Le reste est un miracle.
Amour en fait ainsi; ce sont coups de sa main.
APOLLON
Comment ?
ACANTE
Clymène a fait la moitié du chemin.
POLYMNIE
Que vous autres mortels êtes fous dans vos flammes !
Les dieux obtiennent bien d’autres dons de leurs dames
Sans triompher ainsi.
ACANTE
Polymnie, ils sont dieux.
APOLLON
Je l’étais, et Daphné ne m’en traita pas mieux
Perdons ce souvenir. Vous, triomphez, Acante.
Nous vous laissons, adieu; notre troupe est contente.

Jean de la Fontaine
Fable la Fontaine

 

 


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