Horace ACTE IV Scène VII

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Horace ACTE IV Scène VII

Horace par Pierre Corneille

Sabine

À quoi s’arrête ici ton illustre colère ?

Viens voir mourir ta sœur dans les bras de ton père;

Viens repaître tes yeux d’un spectacle si doux:

Ou si tu n’es point las de ces généreux coups,

Immole au cher pays des vertueux Horaces

Ce reste malheureux du sang des Curiaces.

Si prodigue du tien, n’épargne pas le leur;

Joins Sabine à Camille, et ta femme à ta sœur;

Nos crimes sont pareils, ainsi que nos misères;

Je soupire comme elle, et déplore mes frères:

Plus coupable en ce point contre tes dures lois,

Qu’elle n’en pleurait qu’un, et que j’en pleure trois,

Qu’après son châtiment ma faute continue.

Horace

Sèche tes pleurs, Sabine, ou les cache à ma vue:

Rends-toi digne du nom de ma chaste moitié,

Et ne m’accable point d’une indigne pitié.

Si l’absolu pouvoir d’une pudique flamme

Ne nous laisse à tous deux qu’un penser et qu’une âme,

C’est à toi d’élever tes sentiments aux miens,

Non à moi de descendre à la honte des tiens.

Je t’aime, et je connais la douleur qui te presse;

Embrasse ma vertu pour vaincre ta faiblesse,

Participe à ma gloire au lieu de la souiller.

Tâche à t’en revêtir, non à m’en dépouiller.

Es-tu de mon honneur si mortelle ennemie,

Que je te plaise mieux couvert d’une infamie ?

Sois plus femme que sœur, et te réglant sur moi,

Fais-toi de mon exemple une immuable loi.

Sabine

Cherche pour t’imiter des âmes plus parfaites.

Je ne t’impute point les pertes que j’ai faites,

J’en ai les sentiments que je dois en avoir,

Et je m’en prends au sort plutôt qu’à ton devoir;

Mais enfin je renonce à la vertu romaine,

Si pour la posséder je dois être inhumaine;

Et ne puis voir en moi la femme du vainqueur

Sans y voir des vaincus la déplorable sœur.

Prenons part en public aux victoires publiques;

Pleurons dans la maison nos malheurs domestiques,

Et ne regardons point des biens communs à tous,

Quand nous voyons des maux qui ne sont que pour nous.

Pourquoi veux-tu, cruel, agir d’une autre sorte ?

Laisse en entrant ici tes lauriers à la porte;

Mêle tes pleurs aux miens. Quoi ? Ces lâches discours

N’arment point ta vertu contre mes tristes jours ?

Mon crime redoublé n’émeut point ta colère ?

Que Camille est heureuse ! Elle a pu te déplaire;

Elle a reçu de toi ce qu’elle a prétendu,

Et recouvre là-bas tout ce qu’elle a perdu.

Cher époux, cher auteur du tourment qui me presse,

Écoute la pitié, si ta colère cesse;

Exerce l’une ou l’autre, après de tels malheurs,

À punir ma faiblesse, ou finir mes douleurs:

Je demande la mort pour grâce, ou pour supplice;

Qu’elle soit un effet d’amour ou de justice,

N’importe: tous ses traits n’auront rien que de doux,

Si je les vois partir de la main d’un époux.

Horace

Quelle injustice aux dieux d’abandonner aux femmes

Un empire si grand sur les plus belles âmes,

Et de se plaire à voir de si faibles vainqueurs

Régner si puissamment sur les plus nobles cœurs !

À quel point ma vertu devient-elle réduite !

Rien ne la saurait plus garantir que la fuite.

Adieu: ne me suis point, ou retiens tes soupirs.

Sabine

Ô colère, ô pitié, sourdes à mes désirs,

Vous négligez mon crime, et ma douleur vous lasse,

Et je n’obtiens de vous ni supplice ni grâce !

Allons-y par nos pleurs faire encore un effort,

Et n’employons après que nous à notre mort.

Horace ACTE IV Scène VII

La pièce de Théâtre Horace par Pierre Corneille.



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