Nicaise

Dans  Contes Libertins 3eme partie
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Un apprenti marchand était,
Qu ‘avec droit Nicaise on nommait;
Garçon très neuf, hors sa boutique,
Et quelque peu d’arithmétique;
Garçon novice dans les tours
Qui se pratiquent en amours.
Bons bourgeois du temps de nos pères

S’avisaient tard d’être bons frères.
Ils n’apprenaient cette leçon
Qu’ayant de la barbe au menton.
Ceux d’aujourd’hui, sans qu’on les flatte,
Ont soin de s’y rendre savants
Aussitôt que les autres gens.
Le jouvenceau de vieille date,
Possible un peu moins avancé
Par les degrés n’avait passé.
Quoi qu’il en soit le pauvre sire
En très beau chemin demeura,
Se trouvant court par celui-là
C’est par l’esprit que je veux dire.
Une belle pourtant l’aima:
C’était la fille de son maître
Fille aimable autant qu’on peut l’être,
Et ne tournant autour du pot
Soit par humeur franche et sincère;
Soit qu’il fût force d’ainsi faire,
Etant tombée aux mains d’un sot.
Quelqu’un de trop de hardiesse
Ira la taxer, et moi non:
Tels procédés ont leur raison.
Lorsque l’on aime une déesse,
Elle fait ces avances-là:
Notre belle savait cela.
Son esprit, ses traits, sa richesse,
Engageaient beaucoup de jeunesse
A sa recherche: heureux serait
Celui d’entre eux qui cueillerait
En nom d’hymen certaine chose,
Qu’a meilleur titre elle promit
Au Jouvenceau ci-dessus dit.
Certain dieu parfois en dispose,
Amour nomme communément.
Il plût à la belle d’élire
Pour ce point l’apprenti marchand.
Bien est vrai (car il faut tout dire)
Qu’il était très bien fait de corps
Beau, jeune, et frais; ce sont trésors
Que ne méprise aucune dame
Tant soit son esprit précieux.
Pour une qu’Amour prend par l’âme
Il en prend mille par les yeux.
Celle-ci donc des plus galantes,
Par mille choses engageantes
Tâchait d’encourager le gars,
N’était chiche de ses regards
Le pinçait, lui venait sourire,
Sur les yeux lui mettait la main
Sur le pied lui marchait enfin.
A ce langage il ne sut dire
Autre chose que des soupirs,
Interprètes de ses désirs.
Tant fut, à ce que dit l’histoire,
De part et d’autre soupiré,
Que leur feu dûment déclaré,
Les jeunes gens, comme on peut croire,
Ne s’épargnèrent ni serments,
Ni d’autres points bien plus charmants;
Comme baisers à grosse usure;
Le tout sans compte et sans mesure.
Calculateur que fut l’amant,
Brouiller fallait incessamment:
La chose était tant infinie
Qu’il y faisait toujours abus:
Somme toute, il n’y manquait plus
Qu’une seule cérémonie.
Bon fait aux filles l’épargner.
Ce ne fut pas sans témoigner
Bien du regret, bien de l’envie
Par vous, disait la belle amie,
Je me la veux faire enseigner,
Où ne la savoir de ma vie.
Je la saurai, je vous promets;
Tenez-vous certain désormais
De m’avoir pour votre apprentie.
Je ne puis pour vous que ce point.
Je suis franche; n’attendez point
Que par un langage ordinaire
Je vous promette de me faire
Religieuse, à moins qu’un jour
L’hymen ne suive notre amour.
Cet hymen serait bien mon compte
N’en doutez point; mais le moyen ?
Vous m’aimez trop pour vouloir rien
Qui me pût causer de la honte
Tels et tels m’ont fait demander.
Mon père est prêt de m’accorder.
Moi je vous permets d’espérer
Qu’à qui que ce soit qu’on m’engage,
Soit conseiller, soit président,
Soit veille où jour de mariage
Je serai vôtre auparavant,
Et vous aurez mon pucelage.
Le garçon la remercia
Comme il put. A huit jours de là
Il s’offre un parti d’importance.
La belle dit à son ami:
Tenons-nous-en à celui-ci;
Car il est homme, que je pense,
A passer la chose au gros sas “.

La belle en étant sur ce cas,
On la promet, on la commence
Le jour des noces se tient prêt.
Entendez ceci, s’il vous plaît.
Je pense voir votre pensée
Sur ce mot-là de commencée.
C’était alors sans point d’ abus
Fille promise et rien de plus.
Huit jours donnés à la fiancée,
Comme elle appréhendait encor
Quelque rupture en cet accord,
Elle diffère le négoce
Jusqu’au propre jour de la noce;
De peur de certain accident
Qui les fillettes va perdant.
On mène au moutier cependant
Notre galande encor pucelle.
Le oui fut dit à la chandelle.
L’époux voulut avec la belle
S’en aller coucher au retour.
Elle demande encor ce jour,
Et ne l’obtient qu’avecque peine.
Il fallut pourtant y passer.
Comme l’aurore était prochaine,
L’épouse au lieu de se coucher
S’habille. On eût dit une reine,
Rien ne manquait aux vêtements,
Perles, joyaux, et diamants;
Son épousé la faisait dame.
Son ami pour la faire femme
Prend heure avec elle au matin.
Ils devaient aller au jardin,
Dans un bois propre à telle affaire.
Une compagne y devait faire
Le guet autour de nos amants,
Compagne instruite du mystère.
La belle s’y rend la première,
Sous le prétexte d’aller faire
Un bouquet, dit-elle à ses gens.
Nicaise après quelques moments
La va trouver: et le bon sire
Voyant le lieu se met à dire:
Qu’il fait ici d’humidité !
Foin, votre habit sera gâté.
Il est beau: ce serait dommage.
Souffrez sans tarder davantage
Que j’aille quérir un tapis.
Eh mon Dieu laissons les habits;
Dit la belle toute piquée.
Je dirai que je suis tombée.
Pour la perte, n’y songez point:
Quand on a temps si fort à point
Il en faut user; et périssent
Tous les vêtements du pays;
Que plutôt tous les beaux habits
Soient gâtés, et qu’ils se salissent
Que d’aller ainsi consumer
Un quart d’heure: un quart d’heure est cher
Tandis que tous les gens agissent
Pour ma noce, il ne tient qu’à vous
D’employer des moments si doux.
Ce que je dis ne me sied guère:
Mais je vous chéris; et vous veux
Rendre honnête homme si je peux
En vérité, dit l’amoureux
Conserver étoffe si chère
Ne sera point mal fait à nous.
Je cours; c’est fait; je suis à vous;
Deux minutes feront l’affaire.
Là-dessus il part sans laisser
Le temps de lui rien répliquer.
Sa sottise guérit la dame:
Un tel dédain lui vint en l’âme,
Qu’elle reprit dès ce moment
Son coeur que trop indignement
Elle avait place: quelle honte !
Prince des sots, dit-elle en soi,
Va, je n’ai nul regret de roi:
Tout autre eût été mieux mon compte.
Mon bon ange a considéré
Que tu n’avais pas mérité
Une faveur si précieuse.
Je ne veux plus être amoureuse
Que de mon mari, j’en fais voeu.
Et de peur qu’un reste de feu
A le trahir ne me rengage,
Je vais sans tarder davantage
Lui porter un bien qu’il aurait,
Quand Nicaise en son lieu serait.
A ces mots, la pauvre épousée
Sort du bois, fort scandalisée.
L’autre revient, et son tapis:
Mais ce n’est plus comme jadis.
Amants, la bonne heure ne sonne
A toutes les heures du jour.
J’ai lu dans l’Alphabet d’Amour,
Qu’un galant près d’une personne
N’a toujours le temps comme il veut:
Qu’il le prenne donc comme il peut.
Tous délais y font du dommage:
Nicaise en est un témoignage.
Fort essoufflé d’avoir couru,
Et joyeux de telle prouesse,
Il s’en revient bien résolu
D’employer tapis et maîtresse.
Mais quoi, la dame au bel habit
Mordant ses lèvres de dépit
Retournait voir la compagnie;
Et de sa flamme bien guérie,
Possible allait dans ce moment,
Pour se venger de son amant,
Porter à son mari la chose
Qui lui causait ce dépit-là.
Quelle chose ? c’est celle-là
Que fille dit toujours qu’elle a.
Je te crois, mais d’en mettre jà
Mon doigt au feu, ma foi je n’ose:
Ce que je sais, c est qu’en tel cas
Fille qui ment ne pêche pas
Grâce à Nicaise notre belle
Ayant sa fleur en dépit d’elle
S’en retournait tout en grondant:
Quand Nicaise, la rencontrant
A quoi tient, dit-il à la dame,
Que vous ne m’ayez attendu ?
Sur ce tapis bien étendu
Vous seriez en peu d’heure femme.
Retournons donc sans consulter:
Venez cesser d’être pucelle;
Puisque je puis sans rien gâter
Vous témoigner quel est mon zèle
Non pas cela, reprit la belle
Mon pucelage dit qu’il faut
Remettre l’affaire à tantôt.
J’aime votre santé, Nicaise;
Et vous conseille auparavant
De reprendre un peu votre vent.
Or respirez tout à votre aise.
Vous êtes apprenti marchand;
Faites-vous apprenti galant:
Vous n’y serez pas si tôt maître
A mon égard, je ne puis être
Votre maîtresse en ce métier.
Sire Nicaise, il vous faut prendre
Quelque servante du quartier
Vous savez des étoffes vendre,
Et leur prix en perfection;
Mais ce que vaut l’occasion,
Vous l’ignorez, allez l’apprendre.

Jean de la Fontaine
Fables la Fontaine



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