Marie

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Rien ne trouble ta paix, ô doux Léta ! Le monde
En vain s'agite et pousse une plainte profonde,
Tu n'as pas entendu ce long gémissement,
Et ton eau vers la mer coule aussi mollement ;
Sur l'herbe de tes prés les joyeuses cavales
Luttent chaque matin, et ces belles rivales



Toujours d'un bord à l'autre appellent leurs époux,
Qui plongent dans tes flots, hennissants et jaloux :
Il m'en souvient ici, comme en cette soirée
Où de boeufs, de chevaux notre barque entourée
Sous leurs pieds s'abîmait, quand nous, hardis marins,
Nous gagnâmes le bord, suspendus à leurs crins,
Excitant par nos voix et suivant à la nage
Ce troupeau qui montait pêle-mêle au rivage.
J'irai, j'irai revoir les saules du Létâ,
Et toi qu'en ses beaux jours mon enfance habita,
Paroisse bien-aimée, humble coin de la terre
Où l'on peut vivre encore et mourir solitaire !

Aujourd'hui que tout coeur est triste et que chacun
Doit gémir sur lui-même et sur le mal commun ;
Que le monde, épuisé par une ardente fièvre,
N'a plus un souffle pur pour rafraîchir sa lèvre ;
Qu'après un si long temps de périls et d'efforts,
Dans l'ardeur du combat succombent les plus forts ;
Que d'autres, haletants, rendus de lassitude,
Sont près de défaillir, alors la solitude
Vers son riant lointain nous attire, et nos voix
Se prennent à chanter l'eau, les fleurs et les bois ;
Alors c'est un bonheur, quand tout meurt ou chancelle,
De se mêler à l'âme immense, universelle,
D'oublier ce qui fuit, les peuples et les jours,
Pour vivre avec Dieu seul, et partout et toujours.
Ainsi, lorsque la flamme au milieu d'une ville
Eclate, et qu'il n'est plus contre elle un sûr asile,
Hommes, femmes, chargés de leurs petits enfants,
Se sauvent demi-nus, et, couchés dans les champs,
Ils regardent de loin, dans un morne silence,
L'incendie en fureur qui mugit et s'élance ;
Cependant la nature est calme, dans les cieux
Chaque étoile poursuit son cours mystérieux,
Nul anneau n'est brisé dans la chaîne infinie,
Et l'univers entier roule avec harmonie.

Immuable nature, apparais aujourd'hui !
Que chacun dans ton sein dépose son ennui !
Tâche de nous séduire à tes beautés suprêmes,
Car nous sommes bien las du monde et de nous-mêmes :
Si tu veux dévoiler ton front jeune et divin,
Peut-être, heureux vieillards, nous sourirons enfin !

Celle pour qui j'écris avec amour ce livre
Ne le lira jamais ; quand le soir la délivre
Des longs travaux du jour, des soins de la maison,
C'est assez à son fils de dire une chanson ;
D'ailleurs, en parcourant chaque feuille légère,
Ses yeux n'y trouveraient qu'une langue étrangère,
Elle qui n'a rien vu que ses champs, ses taillis,
Et parle seulement la langue du pays.
Pourtant je veux poursuivre ; et quelque ami peut-être,
Resté dans nos forêts et venant à connaître
Ce livre où son beau temps tout joyeux renaîtra,
Dans une fête, un jour, en dansant lui dira
Cette histoire qu'ici j'ai commencé d'écrire,
Et qu'en son ignorance elle ne doit pas lire ;
Un sourire incrédule, un regard curieux,
A ce récit naïf, passeront dans ses yeux ;
Puis, de nouveau mêlée à la foule qui gronde,
Tout entière au plaisir elle suivra la ronde.



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