Les Précieuses ridicules Scène IV

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Les Précieuses ridicules Scène IV

Les Précieuses ridicules par Jean Baptiste Poquelin: Molière

Magdelon, Cathos, Gorgibus.

Gorgibus

Il est bien nécessaire, vraiment, de faire tant de dépense pour vous graisser le museau ! Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur ? Vous avais-je pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulais vous donner pour maris ?

Magdelon

Et quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier de ces gens-là ?

Cathos

Le moyen, mon oncle, qu’une fille un peu raisonnable se pût accommoder de leur personne ?

Gorgibus

Et qu’y trouvez-vous à redire ?

Magdelon

La belle galanterie que la leur ! Quoi ! débuter d’abord par le mariage ?

Gorgibus

Et par où veux-tu donc qu’ils débutent ? par le concubinage ? N’est-ce pas un procédé dont vous avez sujet de vous louer toutes deux aussi bien que moi ? Est-il rien de plus obligeant que cela ? Et ce lien sacré où ils aspirent n’est-il pas un témoignage de l’honnêteté de leurs intentions ?

Magdelon

Ah ! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois ! Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses.

Gorgibus

Je n’ai que faire ni d’air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c’est faire en honnêtes gens que de débuter par là.

Magdelon

Mon Dieu ! que si tout le monde vous ressemblait un roman serait bientôt fini ! La belle chose que ce serait si d’abord Cyrus épousait Mandane, et qu’Aronce de plain-pied fût marié à Clélie.

Gorgibus

Que me vient conter celle-ci ?

Magdelon

Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures. Il faut qu’un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l’objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l’on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l’assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s’est un peu éloignée; et cette déclaration est suivie d’un prompt courroux, qui paraît à notre rougeur, et qui, pour un temps bannit l’amant de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures: les rivaux qui se jettent à la traverse d’une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s’ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières, et ce sont des règles dont, en bonne galanterie on ne saurait se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l’union conjugale, ne faire l’amour qu’en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue; encore un coup mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé; et j’ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait.

Gorgibus

Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style.

Cathos

En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie ! Je m’en vais gager qu’ils n’ont jamais vu la Carte de Tendre, et que Billets-doux, Petits-soins, Billets-galants et Jolis-vers, sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu’ils n’ont point cet air qui donne d’abord bonne opinion des gens ? Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie; un chapeau désarmé de plumes, une tête irrégulière en cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans ! Mon Dieu quels amants sont-ce là ! quelle frugalité d’ajustement et quelle sécheresse de conversation ! On n’y dure point, on n’y tient pas. J’ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu’il s’en faut plus d’un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges.

Gorgibus

Je pense qu’elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Cathos et vous Magdelon…

Magdelon

Eh ! de grâce, mon père, défaites-vous de ces noms étranges, et nous appelez autrement.

Gorgibus

Comment, ces noms étranges ? Ne sont-ce pas vos noms de baptême ?

Magdelon

Mon Dieu ! que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes étonnements, c’est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Magdelon ? et ne m’avouerez-vous pas que ce serait assez d’un de ces noms pour décrier le plus beau roman du monde ?

Cathos

Il est vrai, mon oncle, qu’une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là, et le nom de Polyxène, que ma cousine a choisi, et celui d’Aminte, que je me suis donné, ont une grâce dont il faut que vous demeuriez d’accord.

Gorgibus

Écoutez, il n’y a qu’un mot qui serve: je n’entends point que vous ayez d’autres noms que ceux qui vous ont été donnés par vos parrains et marraines; et pour ces Messieurs dont il est question, je connais leurs familles et leurs biens, et je veux résolûment que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon âge.

Cathos

Pour moi, mon oncle, tout ce que je vous puis dire c’est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu’on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu ?

Magdelon

Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris où nous ne faisons que d’arriver. Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n’en pressez point tant la conclusion.

Gorgibus

Il n’en faut point douter, elles sont achevées. Encore un coup, je n’entends rien à toutes ces balivernes; je veux être maître absolu; et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu’il soit peu, ou, ma foi ! vous serez religieuses, j’en fais un bon serment.

Les Précieuses ridicules Scène IV

Les Précieuses ridicules par Jean Baptiste Poquelin: Molière



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