Les Fourberies de Scapin ACTE I Scène 2

Dans  Les Fourberies de Scapin
3/5 - (3 votes)

Les Fourberies de Scapin ACTE I Scène 2

Les Fourberies de Scapin par Molière

Scapin, Octave, Silvestre.

Scapin

Qu’est-ce, Seigneur Octave, qu’avez-vous ? Qu’y a-t-il ? Quel désordre est-ce là ? Je vous vois tout troublé.

Octave

Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le plus infortuné de tous les hommes.

Scapin

Comment ?

Octave

N’as-tu rien appris de ce qui me regarde ?

Scapin

Non.

Octave

Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.

Scapin

Hé bien ! qu’y a-t-il là de si funeste ?

Octave

Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude ?

Scapin

Non; mais il ne tiendra qu’à vous que je la sache bientôt; et je suis homme consolatif, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens.

Octave

Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t’être redevable de plus que de la vie.

Scapin

À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler. J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies; et je puis dire, sans vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier; mais, ma foi ! le mérite est trop maltraité aujourd’hui, et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva.

Octave

Comment ? Quelle affaire, Scapin ?

Scapin

Une aventure où je me brouillai avec la justice.

Octave

La justice !

Scapin

Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.

Silvestre

Toi et la justice ?

Scapin

Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l’ingratitude du siècle que je résolus de ne plus rien faire. Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure.

Octave

Tu sais, Scapin, qu’il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon père s’embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts sont mêlés.

Scapin

Je sais cela.

Octave

Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la conduite de Silvestre, et Léandre sous ta direction.

Scapin

Oui: je me suis fort bien acquitté de ma charge.

Octave

Quelque temps après, Léandre fit rencontre d’une jeune Égyptienne dont il devint amoureux.

Scapin

Je sais cela encore.

Octave

Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour, et me mena voir cette fille, que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu’il voulait que je la trouvasse. Il ne m’entretenait que d’elle chaque jour; m’exagérait à tous moments sa beauté et sa grâce; me louait son esprit, et me parlait avec transport des charmes de son entretien, dont il me rapportait jusqu’aux moindres paroles, qu’il s’efforçait toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. Il me querellait quelquefois de n’être pas assez sensible aux choses qu’il me venait dire, et me blâmait sans cesse de l’indifférence où j’étais pour les feux de l’amour.

Scapin

Je ne vois pas encore où ceci veut aller.

Octave

Un jour que je l’accompagnais pour aller chez les gens qui gardent l’objet de ses vœux, nous entendîmes dans une petite maison d’une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c’est. Une femme nous dit en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères, et qu’à moins que d’être insensibles, nous en serions touchés.

Scapin

Où est-ce que cela nous mène ?

Octave

La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c’était. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d’une servante qui faisait des regrets, et d’une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle, et la plus touchante qu’on puisse jamais voir.

Scapin

Ah, ah !

Octave

Une autre aurait paru effroyable en l’état où elle était; car elle n’avait pour habillement qu’une méchante petite jupe avec des brassières de nuit qui étaient de simple futaine, et sa coiffure était une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules; et cependant, faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n’était qu’agréments et que charmes que toute sa personne.

Scapin

Je sens venir les choses.

Octave

Si tu l’avais vue, Scapin, en l’état que je dis, tu l’aurais trouvée admirable.

Scapin

Oh ! je n’en doute point; et sans l’avoir vue, je vois bien qu’elle était tout à fait charmante.

Octave

Ses larmes n’étaient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage; elle avait à pleurer une grâce touchante, et sa douleur était la plus belle du monde.

Scapin

Je vois tout cela.

Octave

Elle faisait fondre chacun en larmes, en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu’elle appelait sa chère mère; et il n’y avait personne qui n’eût l’âme percée de voir un si bon naturel.

Scapin

En effet, cela est touchant; et je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.

Octave

Ah ! Scapin, un barbare l’aurait aimée.

Scapin

Assurément: Le moyen de s’en empêcher ?

Octave

Après quelques paroles, dont je tâchai d’adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de là; et demandant à Léandre ce qu’il lui semblait de cette personne, il me répondit froidement qu’il la trouvait assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m’en parlait, et je ne voulus point lui découvrir l’effet que ses beautés avaient fait sur mon âme.

Silvestre

Si vous n’abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu’à demain. Laissez-le-moi finir en deux mots. Son cœur prend feu dès ce moment. Il ne saurait plus vivre, qu’il n’aille consoler son aimable affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue la gouvernante par le trépas de la mère: voilà mon homme au désespoir. Il presse, supplie, conjure: point d’affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien, et sans appui, est de famille honnête; et qu’à moins que de l’épouser, on ne peut souffrir ses poursuites. Voilà son amour augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution: le voilà marié avec elle depuis trois jours.

Scapin

J’entends.

Silvestre

Maintenant mets avec cela le retour imprévu du père, qu’on n’attendait que dans deux mois; la découverte que l’oncle a faite du secret de notre mariage, et l’autre mariage qu’on veut faire de lui avec la fille que le seigneur Géronte a eue d’une seconde femme qu’on dit qu’il a épousée à Tarente.

Octave

Et par-dessus tout cela, mets encore l’indigence où se trouve cette aimable personne, et l’impuissance où je me vois d’avoir de quoi la secourir.

Scapin

Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle. C’est bien là de quoi se tant alarmer. N’as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi ! Peste soit du butor ! Je voudrais bien que l’on m’eût donné autrefois nos vieillards à duper; je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe; et je n’étais pas plus grand que cela, que je me signalais déjà par cent tours d’adresse jolis.

Silvestre

J’avoue que le Ciel ne m’a pas donné tes talents, et que je n’ai pas l’esprit, comme toi, de me brouiller avec la justice.

Octave

Voici mon aimable Hyacinte.

Les Fourberies de Scapin par Jean Baptiste Poquelin: Molière

Une pièce de théâtre de Molière



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/