Le ferrage des chevaux dans les Pampas

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Et vous, Cap, qu’est-ce que vous pensez de tout ça ?

Tout ça… quoi ?

Tout ça, tout ça…

Ah oui, tout ça ! Eh bien, je ne pense qu’une chose, une seule !

Laquelle ?

Oh ! rien.

Le dialogue dura longtemps sur ce ton. Moi, je me sentais un peu déprimé, cependant que le d’habitude vaillant Captain Cap était totalement aboli.

Cap bâilla, s’étira comme un grand chat fatigué, et je devinai tout de suite ce qu’il allait me proposer: l’inévitable corpse reviver en quelque bar saxon du voisinage. Je répondis par ces deux monosyllabes froidement émises:

Non, Cap !

Cap aurait reçu sur la tête tout le Mont-Valérien lancé d’une main sûre, qu’il ne se serait pas plus formellement écroulé.

Comment, bégaya-t-il, avez-vous dit ?

J’ai dit: Non, Cap.

Alors, je ne comprends plus.

C’est pourtant bien simple, Cap. Désormais, la débauche, sous quelque forme qu’elle se présente me cause une indicible horreur. J’ai trouvé mon chemin de Damas. Plus d’excès ! À nous, la norme ! Vivons à même la nature ! Or, la nature ne comporte ni breuvages fermentés, ni spiritueux. Si on n’avait pas inventé l’alcool, mon bien cher Captain, on n’aurait pas été contraint d’imaginer la douche.

Ce pauvre Cap m’affligeait positivement. Ces propos le déconcertaient tant, émis par moi !

De désespoir, il crut à une plaisanterie.

Non, Cap, vraiment ! insistai-je de pied ferme.

Pauvre Cap !

Je perçus qu’il éprouva la sensation froide et noire que lui échappait un camarade.

Rassurez-vous Cap ! Si vous évade le camarade, l’ami vous demeure et pour jamais, car, moi, j’ai su voir derrière la soi-disant inextricable barrière de votre extériorisation le cœur d’or pur qui frissonne en vous.

Et, timidement, Cap reprit:

Vous n’avez rien à faire cet après-midi ?

Rien, jusqu’à six heures.

Qu’est-ce que vous diriez qu’on aille faire un tour jusqu’au tourne-bride de la Celle-Saint-Cloud ?

Pourquoi non ?

Cap et moi, nous avons tout un passé dans ce tourne-bride.

Que de fois le petit vin tout clair et tout léger qu’on y dégustait trancha drôlement et gaiement sur les redoutables American drinks de la veille !

Comme c’est loin, tout ça ! et à jamais parti ! Et tant mieux !

Il régnait tout le froid sec désirable pour une excursion dans les environs Ouest de Paris.

Notre petit tricycle à pétrole de la maison X… (case à louer) roulait crânement sur la route.

Nous avions à peine franchi les fortifications qu’au cours de je ne sais quelle causerie, le Captain Cap crut devoir comparer son gosier à une râpe, à une râpe digne de ce nom.

J’eus pitié.

Le caboulot où nous stoppâmes s’avoisinait d’une ferrante maréchalerie.

Des odeurs de corne brûlée nous venaient aux narines, et nos tympans s’affligeaient des trop proches et trop vacarmeuses enclumes.

Il y avait trop longtemps que Cap n’avait piétiné l’Europe. Je le laissai dire:

Il faut vraiment venir dans ce sale pays pour voir ferrer les chevaux aussi ridiculement.

Vous connaissez d’autres moyens, vous, Cap ?

D’autres moyens ?… Mille autres moyens, plus expéditifs, plus pratiques et plus élégants.

Entre autres ?

Entre autres, celui-ci, couramment employé dans les prairies du centre d’Australie, quand il s’agit de ferrer des chevaux sauvages, des chevaux tellement sauvages qu’il est impossible de les approcher.

Vous avez vu ferrer des chevaux à distance ?

Mais, mon pauvre ami, c’est là un jeu d’enfant.

Je ne suis pas curieux, mais…

Rien de moins compliqué pourtant. Les maréchaux-ferrants de ce pays se servent d’un petit canon à tir rapide (assez semblable au canon Canet dont on devrait bien armer plus vite notre flotte, entre parenthèses). Au lieu d’un obus, ces armes sont chargées de fers à cheval garnis de leurs clous. Avec un peut d’entraînement, quelque application, un coup d’œil sûr, c’est simple comme bonjour. Vous attendez que le cheval galope dans votre axe et vous montre les talons, si j’ose m’exprimer ainsi… À ce moment, pan, pan, pan, pan ! vous tirer vos quatre coups, si j’ose encore m’exprimer ainsi, et voilà votre mustang ferré. Alors, il est tellement épaté, ce pauvre animal, qu’il se laisse approcher aussi facilement que le ferait un gigot de mouton aux haricots.

Pauvre Cap ! Dire que je ne le verrai plus qu’à des intervalles séculaires !

 

Deux et deux font cinq (2+2=5)

Alphonse Allais

Le ferrage des chevaux dans les Pampas 2 + 2 = 5 Poésie Alphonse Allais

 Poésie Alphonse Allais - 2 + 2 = 5 - Le ferrage des chevaux dans les Pampas -  Et vous, Cap, qu’est-ce que vous pensez de tout ça ? Tout ça… quoi ?


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