Horace ACTE IV Scène II

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Horace ACTE IV Scène II

Horace par Pierre Corneille

Valère

Envoyé par le roi pour consoler un père,

Et pour lui témoigner…

Le vieil Horace

N’en prenez aucun soin:

C’est un soulagement dont je n’ai pas besoin;

Et j’aime mieux voir morts que couverts d’infamie

Ceux que vient de m’ôter une main ennemie.

Tous deux pour leur pays sont morts en gens d’honneur;

Il me suffit.

Valère

Mais l’autre est un rare bonheur;

De tous les trois chez vous il doit tenir la place.

Le vieil Horace

Que n’a-t-on vu périr en lui le nom d’Horace !

Valère

Seul vous le maltraitez après ce qu’il a fait.

Le vieil Horace

C’est à moi seul aussi de punir son forfait.

Valère

Quel forfait trouvez-vous en sa bonne conduite ?

Le vieil Horace

Quel éclat de vertu trouvez-vous en sa fuite ?

Valère

La fuite est glorieuse en cette occasion.

Le vieil Horace

Vous redoublez ma honte et ma confusion.

Certes, l’exemple est rare et digne de mémoire,

De trouver dans la fuite un chemin à la gloire.

Valère

Quelle confusion, et quelle honte à vous

D’avoir produit un fils qui nous conserve tous,

Qui fait triompher Rome, et lui gagne un empire ?

À quels plus grands honneurs faut-il qu’un père aspire ?

Le vieil Horace

Quels honneurs, quel triomphe, et quel empire enfin,

Lorsqu’Albe sous ses lois range notre destin ?

Valère

Que parlez-vous ici d’Albe et de sa victoire ?

Ignorez-vous encor la moitié de l’histoire ?

Le vieil Horace

Je sais que par sa fuite il a trahi l’état.

Valère

Oui, s’il eût en fuyant terminé le combat;

Mais on a bientôt vu qu’il ne fuyait qu’en homme

Qui savait ménager l’avantage de Rome.

Le vieil Horace

Quoi, Rome donc triomphe !

Valère

Apprenez, apprenez

La valeur de ce fils qu’à tort vous condamnez.

Resté seul contre trois, mais en cette aventure

Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure,

Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d’eux,

Il sait bien se tirer d’un pas si dangereux;

Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse

Divise adroitement trois frères qu’elle abuse.

Chacun le suit d’un pas ou plus ou moins pressé,

Selon qu’il se rencontre ou plus ou moins blessé;

Leur ardeur est égale à poursuivre sa fuite;

Mais leurs coups inégaux séparent leur poursuite.

Horace, les voyant l’un de l’autre écartés,

Se retourne, et déjà les croit demi-domptés:

Il attend le premier, et c’était votre gendre.

L’autre, tout indigné qu’il ait osé l’attendre,

En vain en l’attaquant fait paraître un grand cœur;

Le sang qu’il a perdu ralentit sa vigueur.

Albe à son tour commence à craindre un sort contraire;

Elle crie au second qu’il secoure son frère:

Il se hâte et s’épuise en efforts superflus;

Il trouve en les joignant que son frère n’est plus.

Camille

Hélas !

Valère

Tout hors d’haleine il prend pourtant sa place,

Et redouble bientôt la victoire d’Horace:

Son courage sans force est un débile appui;

Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui.

L’air résonne des cris qu’au ciel chacun envoie;

Albe en jette d’angoisse, et les Romains de joie.

Comme notre héros se voit près d’achever,

C’est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver:

” j’en viens d’immoler deux aux mânes de mes frères;

Rome aura le dernier de mes trois adversaires,

C’est à ses intérêts que je vais l’immoler, ”

Dit-il; et tout d’un temps on le voit y voler.

La victoire entre eux deux n’était pas incertaine;

L’Albain percé de coups ne se traînait qu’à peine,

Et comme une victime aux marches de l’autel,

Il semblait présenter sa gorge au coup mortel:

Aussi le reçoit-il, peu s’en faut, sans défense,

Et son trépas de Rome établit la puissance.

Le vieil Horace

Ô mon fils ! Ô ma joie ! Ô l’honneur de nos jours !

Ô d’un état penchant l’inespéré secours !

Vertu digne de Rome, et sang digne d’Horace !

Appui de ton pays, et gloire de ta race !

Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements

L’erreur dont j’ai formé de si faux sentiments ?

Quand pourra mon amour baigner avec tendresse

Ton front victorieux de larmes d’allégresse ?

Valère

Vos caresses bientôt pourront se déployer:

Le roi dans un moment vous le va renvoyer,

Et remet à demain la pompe qu’il prépare

D’un sacrifice aux dieux pour un bonheur si rare;

Aujourd’hui seulement on s’acquitte vers eux

Par des chants de victoire et par de simples vœux.

C’est où le roi le mène, et tandis il m’envoie

Faire office vers vous de douleur et de joie;

Mais cet office encor n’est pas assez pour lui;

Il y viendra lui-même, et peut-être aujourd’hui:

Il croit mal reconnaître une vertu si pure,

Si de sa propre bouche il ne vous en assure,

S’il ne vous dit chez vous combien vous doit l’état.

Le vieil Horace

De tels remercîments ont pour moi trop d’éclat,

Et je me tiens déjà trop payé par les vôtres

Du service d’un fils, et du sang des deux autres.

Valère

Il ne sait ce que c’est d’honorer à demi;

Et son sceptre arraché des mains de l’ennemi

Fait qu’il tient cet honneur qu’il lui plaît de vous faire

Au-dessous du mérite et du fils et du père.

Je vais lui témoigner quels nobles sentiments

La vertu vous inspire en tous vos mouvements,

Et combien vous montrez d’ardeur pour son service.

Le vieil Horace

Je vous devrai beaucoup pour un si bon office.

Horace ACTE IV Scène II

La pièce de Théâtre Horace par Pierre Corneille.



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