Quinzième vision

Dans  La Chute d’un Ange,  Poésie Alphonse de Lamartine
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Cependant Asrafiel, vainqueur par sa complice.
De ses lâches rivaux débarrassant la lice,
Le pied sur un cadavre au trône était monté ;
Pour lui le prix du sang était la volupté :
Et, pour aiguillonner son audace assouvie,
Associant la mort aux excès de la vie,
De débauche altéré plus que d’ambition,

Il remplissait ces murs d’abomination.
Sur les parvis souillés du palais des scandales,
Le sang et les parfums se mêlaient sur les dalles ;
Les hymnes effrénés, les sons des instruments,
Y couvraient de la mort les derniers râlements.
Des danseuses, nouant leurs trames fugitives,
Secouaient des flambeaux sur le front des convives ;
La sueur, la fumée, obscurcissaient le ciel :
Cette atmosphère immonde était l’air d’Asrafiel
On eût dit qu’effrayé du jour qui devait suivre,
Des cinq sens à la fois il se hâtait de vivre.
Par ces hideux tableaux ses esprits excités
Trouvaient un nouveau sel à ses atrocités.
Les yeux de Daïdha brûlaient de loin son âme ;
L’empire n’était rien pour lui sans cette femme :
Tous ses forfaits n’étaient que des forfaits ingrats,
S’ils ne lui jetaient pas ce rêve entre les bras !
Il voulait, réservant pour lui ce prix céleste,
Être un époux pour elle, être un dieu pour le reste,
Et, lui donnant aussi sa part de royauté,
Faire de sa conquête une divinité.
Ces lieux étaient la scène et cette heure était l’heure.
Conduite de la nuit de sa morne demeure
A ce jour que lançaient les torches dans les cieux,
Daïdha, rougissante, était devant ses yeux.

Ses regards, étonnés par l’éclat de la flamme,
Dans-l’éblouissement laissaient nager son âme ;
Pour abriter son corps contre cette splendeur,
Ses vêtements serrés couvraient mal sa pudeur.
La honte de son geste et sa tête baissée
Semblaient l’envelopper dans sa chaste pensée ;
Son cœur pétrifié s’arrêtait de stupeur,
Sa peau se nuançait des frissons de la peur ;
Ses épaules à nu, se serrant aux aisselles,
S’efforçaient de voiler son corps comme deux ailes
Dont les duvets ravis par le cruel ciseau
Se replieraient en vain sur les flancs de l’oiseau.
Tantôt elle couvrait de ses doigts en étoile
Les marbres de son sein transparents sous leur voile :
Tantôt, pour s’abriter du jour qui l’offensait,
De l’ombre d’un pilier elle se vêtissait.
Parmi tant de beautés aux regards immodestes,
Son tremblement, sa peur, sa rougeur et ses gestes
Jetaient sur elle seule un voile de respect ;
Le regard déhonté rentrait à son aspect.
Tant la sainte pudeur, ce vêtement de l’âme,
Peut protéger le corps contre l’audace infâme !
Un mouvement d’extase et de ravissement
Donnait à tous les yeux les regards d’un amant.
Un murmure courait dans l’assemblée immense,
Comme dans les forêts la brise qui commence ;
Tandis que Daïdha, rouvrant ses chastes yeux
Qu’épouvantaient d’effroi les murs licencieux,
Par ces grossiers tableaux toujours plus offensée,
S’enfonçait plus avant dans sa propre pensée,
Comme un vase d’amour et de dilection
Au fond de cette mer d’abomination.

Le tyran, aux splendeurs de cette beauté chaste,
Du vice à la vertu contemplant le contraste,
Du regard malgré lui respectait ses appas.
L’absence des cheveux ne la déparait pas ;
Comme un jeune palmier dont la main qui le taille
En élaguant la cime élève encor la taille,
Plus souple et plus léger son buste s’élançait,
Allégé des cheveux dont le poids l’affaissait.
« Viens, disait Asrafiel, ô perle de l’aurore
Que la vague à mes pieds apporta pour éclore,
Viens luire sur ce front où luit tant de grandeur ;
Tu seras de ces lieux la première splendeur !
Étoile de la nuit, qui brillais inconnue
Derrière les forêts ou derrière la nue,
Des astres du matin viens effacer .le jour !
Le bonheur de tes yeux coule en rayon d’amour !
Sur tes lèvres de nard un ciel entier respire !
C’est pour te conquérir que j’ai conquis l’empire !
Viens, couronnant mon front de ta chaste beauté,
Me payer ma grandeur par ma félicité ! »

En lui parlant ainsi sa main rude et robuste,
S’assouplissant un peu, l’enlaçait par le buste,
Et ses bras musculeux l’attiraient vers son cœur ;
Mais Daïdha bondit avec un cri d’horreur.
Il sourit, et dardant un regard de satyre :
« Biche à l’oeil effrayé, qui fuis ce qui t’attire,.
Reviens à moi, dit-il, charmante enfant, reviens !
Ton pied léger, vois-tu, traîne encor tes liens ;
De quoi te serviraient la colère et la fuite ?
Plus vite sous ma main tu reviendrais réduite.
Mais pourquoi t’enfuis-tu ? viens ; tu ne sais donc pas
Que c’est un dieu dont l’oeil admire tes appas ?
Qu’il veut, n’offrant qu’à toi sa tendresse jalouse,
D’esclave, sur son cœur te proclamer épouse ?
Oh ! viens, folle beauté, sur le cœur d’Asrafiel,
De bonheurs inconnus étonner jusqu’au ciel !… »
Il se tut, et tendant les bras vers la rebelle,
Attendit un instant qu’elle y tombât… Mais elle,
D’une voix dont la honte et l’indignation
Relevaient tout à coup la molle inflexion :
« Dieu seul est Dieu, dit-elle, et le ciel de mon âme,
C’est le cœur de celui dont il m’a faite femme !
Cédar, mon saint amour ! Cédar, mon seul époux !
Un cachot avec lui plus qu’un trône avec vous !
De vos pieds tout-puissants que de mes pleurs je lave,
Frappez, rejetez-moi ; faites-moi votre esclave ;
Mais rendez-moi Cédar, Cédar, mon seul amour,
Et mes petits enfants dont les yeux sont mon jour !
J’embaumerai vos pieds d’éternelles caresses,
Et vous serez un dieu du moins pour mes tendresses… »

Comme si cette bouche eût blasphémé le ciel,
Un murmure d’horreur la couvrit. Asrafiel,
La repoussant du pied sur le marbre abattue :
« Ah ! dit-il, c’est donc lui ? Qu’on coure et qu’on le tue !
Que l’on traîne à ses yeux ses membres torturés ;
Qu’elle entende… ! Mais non, reprit-il , demeurez !
Avant que de sa vie un geste me délivre,
D’un seul mot, Daïdha, tu peux le laisser vivre ;
C’est toi qui vas frapper, c’est toi qui le tueras !
Viens chercher ton amant, sa vie est dans mes bras… »
A ces mots Daïdha, par la crainte éperdue,
Se jetait… Mais soudain, sur un pied suspendue,
Et redressant d’horreur son beau corps incliné :
« Non ! non ! qu’il meure avant son amour profané !
Qu’il meure avant de voir son épouse avilie
Au prix de son honneur lui racheter la vie !
Qu’il meure avant de voir flétrir de ton baiser
Ces lèvres où son cœur du moins peut se poser !
Frappe, mon choix est fait !…-Eh bien, non ! dit l’hyène,
Je suspendrai le coup pour que ta vie y tienne !
Esclaves, apportez ses enfants par les piés
Comme deux vils chevreaux pour le couteau liés.
Par tous les sentiments de sa tendre nature,
Sur leurs membres sanglants donnez-lui la torture ;
Oui, respectez son corps et déchirez son cœur,
Jusqu’à ce qu’elle tombe aux bras de son vainqueur… »
Les petits, à ces mots, arrachés de leur couche,
Chacun d’eux dans les bras d’un esclave farouche,
Sur le seuil du parvis sont apportés soudain ;
L’aboîment ne fait pas bondir plus fort le daim
Que le vagissement de ses fils qu’on apporte
Ne fait bondir d’amour la mère vers la porte.
Avant que des bourreaux son geste ait été vu,
Se jetant sur leurs mains d’un élan imprévu,
Elle arrache ses fils à leur cruelle serre,
Les étreint sur son cœur, les embrasse, les serre,
Les laisse, les reprend, roule son front sur eux,
Les couvre sur leurs corps de baisers plus nombreux
Que l’orage du cœur n’a de gouttes de pluie ;
Les baigne de ses yeux, des lèvres les essuie ;
Puis, les pressant sur elle à les faire crier,
D’un regard qui paraît défier et prier,
Regarde les bourreaux un moment en silence,
Aux genoux d’Asrafiel avec ardeur s’élance,
Et serrant sur son sein ses enfants d’une main,
De l’autre saisissant le bras du monstre humain,
De la foudre du cœur, que son coup d’oeil lui darde,
L’attendrit, le foudroie : « Oh ! dit-elle, oh ! regarde,
Suppliant à tes pieds ces innocents agneaux !
Des mères de tes dieux les fils sont-ils plus beaux ?
Oh ! touche cette chair d’ivoire, où la tigresse
Changerait, en léchant, sa morsure en caresse !
Vois ces yeux où tes yeux se reflètent ; oh ! vois
Comme ils touchent tes pieds avec leurs petits doigts ! »
Puis, avec cet instinct rapide de la mère,
Sur les traits d’Asrafiel voyant la joie amère,
Et comprenant soudain qu’il avait découvert
Le seul point sans défense où son cœur fût ouvert,
Du sol où se courbait sa face prosternée,
Relevant les enfants d’une main forcenée,
Et changeant tout à coup de figure et de voix,
Elle se retourna comme un cerf aux abois :

« Non, tu les frapperas ! je le vois dans ton rire !
Monstre ! l’amour y raille et l’enfer y respire !
Mais viens, tyran ! bourreaux, meurtriers, venez tous
Ma seule arme de mère est plus forte que vous.
Essayez d’arracher du sein qui vous défie
Ce couple que j’y rentre et que j’y pétrifie !
Vous briserez plutôt ces lourds câbles de fer
Que ce nœud de mes bras qui va les étouffer !
Vous ne les atteindrez qu’en perçant mes entrailles !
Mon sang, avec le leur, rougira vos murailles ;
Et ce monstre obtiendra, pour prix de ses forfaits,
Trois cadavres jetés à ses pieds satisfaits !…
– Bourreaux ! dit Asrafiel frémissant de colère,
Ouvrez, sans les briser, ces tendres bras de mère ;
Prenez ces fruits séchés avant que d’être mûrs,
Et broyez à ses yeux leurs têtes sur les murs ! »

Deux bourreaux, à ces mots, d’une invincible étreinte,
Déplièrent ses bras qu’entrelaçait la crainte,
Et, de ses vains efforts sans peine triomphants,
Écartèrent la mère et prirent les enfants.
Chacun en saisit un comme un boucher sa proie,
Et lui lia les pieds d’une rude courroie.
Tel qu’un bloc qu’en tournant la fronde va lancer,
Chacun vers sa colonne on les vit s’avancer.
Déjà les airs sifflaient sous le vent des deux crânes,
Déjà le mur rasait leurs cheveux diaphanes :
Un pas de plus, leurs fronts éclataient en débris !
Le plus beau des jumeaux jette deux faibles cris ;.
A cette voix d’enfant, dont l’accent la déchire,
L’horreur de Daïdha monte jusqu’au délire ;
Ah ! le cœur d’une mère est enfin le plus fort !
« Pour sauver mes petits, j’embrasserais la mort ! »
Dit-elle ; et, s’élançant comme l’air à la flamme,
Dans les bras d’Asrafiel elle tombe sans âme !

Le monstre se penchait sur le front sans couleur,
Sur le corps immobile épuisé de douleur,
Qu’il allait profaner de son haleine immonde…
Quand un cri dont l’horreur ferait crouler un monde,
Cri semblable au clairon dont le terrible écho
Fit rentrer dans le sol les murs de Jéricho,
Un cri semblable au cri dont la puissance seule
Fait lâcher au lion la brebis de sa gueule,
Et de l’aigle tremblant ouvre la serre au ciel,
Fascina tout le sang aux veines d’Asrafiel,
Lui fit ouvrir les mains comme une main plus forte,
En laissant retomber Daïdha demi-morte !

Cédar, car c’était lui, du haut des escaliers,
Cédar, montrant sa tête entre deux hauts piliers,
Cédar, grand comme un dieu dont la mâle statue
Tombe du piédestal sur la foule abattue,
Les cheveux hérissés, le bras haut, l’oeil béant,
Marche sur les corps morts au trône du géant.

Au palais dont l’orgie a dégarni les portes,
Du peuple débordé précédant les cohortes,
Précipitant ses pas de la foule suivis,
Cédar était monté jusqu’aux secrets parvis.
Comme avant de frapper l’orage plane et tonne,
Pour assurer ses yeux que la splendeur étonne,
Derrière une colonne un instant arrêté,
Sous l’ombre du portique il s’était abrité.
Pendant qu’il suspendait ses combattants du geste,
Il avait vu ses fils balancés, et le reste,
Daïdha, leur jetant son dernier cri d’effroi,
Tomber inanimée aux pieds du monstre-roi !
A cet excès. d’horreur, dans son sein condensée,
La foudre de son âme avait été lancée,
De l’orteil aux cheveux la flamme avait jailli,
La racine du cœur en avait tressailli.
Tout ce qui sent dans l’homme, aime, frémit, abhorre,
Donnait a tout son être un contre-coup sonore :
Rage, colère, amour, mort, indignation,
S’étaient multipliés dans sa vibration !
La voix de tout ce peuple, à sa voix confondue,
Des cieux, qu’elle ébranlait, paraissait descendue.
L’enfer n’aurait pas mis les tyrans à l’abri ;
La vengeance du monde était dans ce seul cri !…

Comme se courbe un front quand passe la tempête,
Les géants avaient mis les deux mains sur leur tête,
Et, pareils aux épis par l’ouragan pliés,
Ondoyant sous son bras s’écartaient de ses piés.
Le peuple à flots pressés l’accompagnait en foule.
Tel, au milieu d’un lac quand une tour s’écroule.
On voit ce lac, grossi par les rocs éboulés,
Surmonter ses hauts bords de ses plis refoulés,
Et, dépassant du flot les grèves du rivage,
Suspendre son écume au rocher qui surnage :
Telles, tombant au sein de ce monde avili,
Où de l’iniquité l’abîme était rempli,
La colère d’un homme et sa seule énergie
Avaient d’un peuple entier troublé la léthargie,
Et de ces murs sacrés, qu’il n’osait regarder,
Jusque sur ses tyrans l’avaient fait déborder !

Armés de jougs brisés, de socs et de massues,
Il se précipitait par toutes les issues,
Entraînant dans son flux, noyant dans sa fureur
Ces dieux qu’une heure avant adorait sa terreur.
Nul n’osait se roidir contre ce grand déluge ;
Tous tombaient ou mouraient, ou cherchaient un refuge.
La droite de Cédar agitait leur linceul.
Asrafiel pâlissant osa s’arrêter seul :
Il ne connaissait pas la force d’un bras libre ;
Sur ses muscles tendus reprenant l’équilibre,
De toute sa hauteur se dressant en sursaut,
De Cédar qu’il défie il attendait l’assaut.
Daïdha d’une main pressait encor sa jambe.
Cédar venant à lui sur le corps qu’il enjambe,
Comme un bélier jaloux qui, pour abattre un tronc,
Incline obliquement les cornes de son front,
Le souffle du désert grondant dans sa narine,
D’un seul coup de sa tête enfonce la poitrine.
Asrafiel, à ce choc qui le fait chanceler,
De ses côtes de fer sent les os vaciller ;
La force de son bras manque au coup qu’il assène ;
Ses poumons écrasés font ronfler son haleine ;
Mais, pressant de Cédar la nuque entre ses doigts,
Ses deux coudes ouverts, il l’écrase du poids,
Et, comme un sanglier plonge sa dent d’ivoire,
Dans son épaule nue enfonce sa mâchoire.
Tel on voit, pour ouvrir ses cinq ongles mordants,
Le dogue secouer le tigre avec ses dents,
Cédar, sans étancher son sang pur qui ruisselle,
Écrase le géant sous sa robuste aisselle.
Le colosse à l’instant, frappé du coup mortel,
Croule avec son vainqueur aux marches de l’autel.
Les globes de ses yeux tournent sous sa paupière ;
Son front sonore est pâle et froid comme la pierre.
Cédar, penché sur lui, le prend par les cheveux,
Tend, pour le soulever, ses deux poignets nerveux,
Et, contre l’autel même où son forfait s’expie,
Comme un vautour dans l’œuf, brise son crâne impie ;
Puis, cherchant du regard ses autres ennemis,
Il voit tout, devant lui, mort, fuyant ou soumis.

Le peuple fluctuant, que la peur encourage,
Pendant l’affreux duel, s’acharnant au carnage,
Avait, vengeant d’un jour tant de jours odieux,
Égorgé sans combat la moitié de ses dieux ;
L’autre moitié, fuyant le fer levé sur elle,
Avait, par des détours, gagné la citadelle ;
Tour qui montait au ciel, et dont les murs de roc,
Dressés en précipice et ne formant qu’un bloc,
Défiant des béliers la poutre la plus forte,
Recevaient l’air du ciel et n’avaient qu’une porte.
Pendant que leur vainqueur s’enivrait du succès,
De cette tour d’airain gardant l’unique accès,
Les dieux, réfugiés dans cet antre de pierre,
En refermant la porte, avaient roulé derrière
Trois fragments de granit dont la masse et le poids
Auraient épouvanté mille hommes d’autrefois,
Et que de la colline leur masse soudée
Trente siècles n’ont pu déplacer en idée !
Ce reste de tyrans couverts par ses remparts
Du faîte des créneaux plonge en bas ses regards.
Le peuple, dont la rage à leur aspect s’allume,
Contre les murs se brise en impuissante écume :
Sa fureur, qui ne peut si haut les assaillir,
Sur les corps mutilés des morts vient rejaillir ;
L’incendie au palais s’attache en longues lames ;
Le vent souffle engouffré dans des courants de flammes ;
Sous des vagues de feu le ciel semble ondoyer ;
Tout roule et s’engloutit dans ce large foyer.
Il calcine la pierre, il effeuille le marbre ;
La colonne s’allume ainsi que le tronc d’arbre,
Et ; comme des rameaux sur les herbes fumants,
Sème du haut des airs ses grands entablements.
On dirait qu’un volcan allumé de lui-même
Dévore avec le sol ces temples du blasphème.
De ces foyers vengeurs les feux semblaient vivants.
Les siècles en un jour rendent leur cendre au vent.
L’œuvre d’impiété des âges consumée,
Éteinte en un clin d’oeil, se balaye en fumée.

L’ange de la justice et de la liberté,
Sur ses ailes de feu par les flammes porté,
Tel qu’un pasteur qui brûle une ruche d’abeilles,
Avec l’iniquité consume ses merveilles.
Aux sinistres éclairs des bûchers dévorants,
Aux bouillons de la lave, aux clameurs des mourants,
On voit courir le peuple, ivre d’horrible joie,
Repousser dans la flamme ou disputer sa proie,
Battre des mains aux feux, encourager les vents,
Jeter sur les charbons des esclaves vivants,
Assouvir de ses sens les vengeances brutales,
Du crime et de la mort mener les saturnales,
Et, d’agneaux égorgés devenus égorgeurs,
Surpasser les forfaits dont ils sont les vengeurs !

Cédar, encor souillé de sang et de fumée,
Relevant Daïdha par sa voix ranimée,
Emportait loin du feu, sur ses bras triomphants,
Pressés contre son cœur, sa femme et ses enfants.
Ne pouvant s’arracher à leur tremblante étreinte,
Il s’assit à l’écart au pied d’un térébinthe,
Dont sur un grand bassin les immenses rameaux,
Par leurs feuilles courbés, se baignaient dans les eaux ;
Tel qu’un buffle altéré lave ses crins immondes,
Il se plonge trois fois tout fumant dans les ondes,
Et trois fois, élevant sa tête sur les flots,
De son sang encor tiède il lave les caillots.
La bave d’Asrafiel sortit de sa morsure.
Daïdha de ses pleurs arrosa la blessure,
Et de Cédar enfin restaurant la vigueur,
Avec ses deux enfants se jeta sur son cœur.

Oh ! de crainte et d’amour quels rapides échanges
De mots inachevés qu’entendaient seuls les anges,
D’éclairs d’une âme à l’autre éclatant tour à tour,
Illuminant d’un mot les doutes de l’amour,
Dans ce rapide instant absorbèrent leurs âmes !
Pendant que l’incendie en ses longs jets de flammes
Leur jetait par moments ses sinistres reflets,
Et que le sol tremblait aux chutes des palais,
Amant, père, vainqueur, enfant, épouse, mère,
Leur joie accumulée était leur atmosphère.
Le ciel aurait croulé sur le monde englouti,
Que le bruit dans leur cœur n’en eût pas retenti.

Cependant ce vil peuple, achevant son ouvrage,
Jusqu’après le triomphe étendait le carnage.
Cédar en eût pitié ; la tête dans sa main,
Il pleura sur lui-même et sur le genre humain.
« O race, pensait-il, faite pour qu’on l’opprime,
Vengeras-tu toujours le crime par le crime ?… »
Il regardait fumer ces sinistres débris :
Un géant que la foule assiégeait à grands cris
Vint tomber aux genoux du vainqueur de sa race.
Où la force éclatait, il espérait la grâce :
« Sauve-moi, cria-t-il, de ce peuple assassin ! »
Cédar lui fit contre eux un rempart de son sein ;
Du géant sans défense il protégea la vie :
Le peuple abandonna sa victoire ravie,
Tel qu’à la voix de l’homme un tigre rugissant
Qui laisse et qui regrette une goutte de sang.
Mais Cédar indigné, les réprimant du geste,
Des géants poursuivis préserva quelque reste.
« Qui de vous, disait-il en détournant les yeux,
Du maître ou de l’esclave, est le plus odieux ?
Oh ! fuyons, Daïdha, ces races de vipères !
Emportons nos enfants aux forêts de nos pères !
N’est-il donc plus un juste au fond des nations ?»
Et Daïdha pleurant lui répondit : « Fuyons ! »

Au sommet de la tour qui leur servait d’asile,
Les géants consternés regardant sur la ville,
Voyant cette pitié d’un vainqueur généreux,
Comprirent leur salut et parlèrent entre eux.
Dans ce monde pétri de mal et d’artifice,
Chaque vertu du juste est une arme du vice.
Quand l’incendie éteint languit sans aliment,
Et que l’épaisse nuit couvrit le firmament,
L’un d’eux par une corde aux créneaux suspendue,
Et du poids de son corps jusqu’aux fossés tendue,
Glissa le long du mur, et d’un pas indécis
S’avança vers Cédar sous le grand arbre assis.
Tombant à ses genoux et simulant la crainte,
Il lui pressait les pieds d’une muette étreinte ;
Sa voix cherchait des mots et ne pouvait parler,
Sa pensée en suspens semblait aussi trembler.
Comme un coupable enfin que son juge rassure
Et sur les mots pesés composant sa figure :
« O divin étranger, envoyé par le ciel
Pour délivrer la terre et punir Asrafiel,
De quelque nom caché que Jéhovah te nomme,
Puissante main d’en haut qui vient relever l’homme
L’homme qu’elle relève est indigne de toi.
A leurs iniquités, ô juste ! arrache-moi.
Tu vois devant tes yeux une de leurs victimes,
Respirant l’air impur qu’ils infectent de crimes,
Buvant l’iniquité tout en la détestant,
Et de leur échapper guettant toujours l’instant.
Du sommet de la tour oit cette race impie,
Comme l’aigle blessé, de son aire t’épie,
Je t’ai vu tout à l’heure à ces hommes ingrats
Ravir tes ennemis protégés par ton bras ;
.J’ai reconnu ma race à ta vertu sublime,
J’ai mis ma confiance en ton cœur magnanime ;
Et du haut des remparts glissant inaperçu,
Comme l’ombre de Dieu ton ombre m’a reçu.
Sauve-moi, choisis-moi de cette race infâme
Que ma tribu déteste et que vomit mon âme !
Mon nom n’est pas leur nom, mon Dieu n’est pas le leur ;
Jeune, ils m’ont pris au piège, ainsi que l’oiseleur.
Sous ses palmiers sacrés, la Mésopotamie
M’enfanta d’une race à leur race ennemie ;
Là, le nom des géants comme un crime est haï,
Là, règne seul au ciel le Dieu d’Adonaï !
Là, le lait et le miel coulent d’un sol propice,
Et du cœur des mortels l’amour et la justice ;
Là, tout homme, plantant ses tentes en tout lieu,
A son frère dans l’homme et son père dans Dieu.
Oh ! laisse-moi m’enfuir vers ces rives prospères.
Et reporter mes os aux tombes de mes pères ! »

Cédar le relevant en lui prenant la main :
« Saurais-tu de ces bords retrouver le chemin ?
Pourrais-tu vers ce ciel me guider sur ta trace ?
Parle ! oh ! parle ! dit-il, enfant d’une autre race.
Si tu sais où trouver les fils de Jéhova,
Mes pieds seront tes pieds, et tes yeux mes yeux : va !

– Vers ces climats bénis où l’aurore a sa source,
Neuf soleils, dit Stagyr, achèveront la course.
Nous marcherons d’abord par un profond vallon,
La poitrine tournée au vent de l’aquilon.
Nous passerons bientôt les ondes de l’Euphrate ;
Nous entrerons après dans une terre ingrate
Qui n’enfanta jamais herbe ni nations,
Déserts où Dieu versa ses malédictions,
Dont les vents creusent seuls les vagues infécondes,
Où l’océan de feu déroule seul ses ondes ;.
Là, pour ne pas mourir, sur les flancs du chameau
Le patriarche errant charge deux sources d’eau.
Après trois jours entiers, du côté de l’aurore,
La terre des palmiers commencera d’éclore.
Un fleuve indiquera les bords que nous cherchons. »
Ainsi parla Stagyr, et Cédar dit : « Marchons ! »

Détournant les regards de ce séjour d’alarmes,
Il prit sur chaque bras un des fils de ses larmes,
Appuya sur son cou la main de Daïdha,
Et suivit hors des murs l’homme, qui le guida.
A la lueur des feux sur des monceaux de cendre,
De la cité du crime on le vit redescendre,
Et, maudissant du cœur l’infâme nation,
Secouer de ses pieds l’abomination !
Il vit autour des murs errer une chamelle
Dont le petit suçait la pendante mamelle ;
Stagyr, d’un geste adroit lui passant le licou.
En chassant son petit l’emmena par le cou.
Sur les marges du puits cieux outres oubliées
Pleines d’eau, par Stagyr l’une à l’autre liées,
Du fleuve qu’ils fuyaient emprisonnant les flots,
Balancèrent leur poids en liquides ballots.
Daïdha sur le dos de l’animal robuste
Tenait les deux jumeaux pressés contre son buste.
En suivant du chemin les cahots ondulants,
Leurs pieds nus du chameau battaient les rudes flancs.
Cédar, qui du regard surveillait cette charge,
Lui prêtait pour soutien son bras solide et large ;
Le désert admirait ce beau groupe ondoyant.
La main de Daïdha, sur Cédar s’appuyant,
Essuyait de son front la sueur goutte à goutte,
Et son souffle d’amour rafraîchissait la route.
Quand le couple enfantin s’éveillait ou criait,
Dans le creux de sa main, que leur lèvre essuyait,
Cédar, faisant un peu ruisseler l’outre pleine,
Du vent sur leur visage en humectait l’haleine.
Ainsi, cherchant l’abri d’un Dieu juste et vengeur,
Fuyait vers l’Orient le couple voyageur ;
Et chacun de leurs pas, rapprochant l’espérance,
Semblait jeter un siècle entre eux et leur souffrance !

Ils marchèrent ainsi jusqu’au pâle matin.
Déjà le grand désert, rougissant le lointain,
Comme une flamme envoie un reflet au nuage,
Incendiait le ciel de sa livide image.
La vapeur que la nuit lui faisait exhaler
Aux rayons bas du ciel paraissait onduler.
Les sillons sablonneux fumaient comme une braise
Que la pelle remue aux bords de la fournaise.
Tout l’horizon flottait dans la confusion.
Seulement, par moments, un oblique rayon,
Rasant du sable d’or la crête qu’il allume,
Le faisait éclater comme un bouillon d’écume ;
Puis, d’un sommet à l’autre avec le jour glissant,
Semait de points de feu le sol éblouissant,
Et, noyant le regard dans des horizons vagues,
De cette mer de flamme entre-croisait les vagues.
En entrant sous ce ciel par la vapeur terni,
On croyait tout vivant entrer dans l’infini.
Le doute et la terreur reposaient sur ces cimes.
A l’effrayant aspect de ces mouvants abîmes,
Cédar et Daïdha, l’un sur l’autre appuyés,
Sentirent tous leurs nerfs se crisper dans leurs piés ;
Refusant d’avancer, d’un geste involontaire,
Leurs orteils contractés s’attachaient à la terre ;
Mais, se tournant vers eux, Stagyr dit : « Le voilà !
Des hommes et de Dieu la terre est au delà ! »

Sous l’haleine de feu que le désert apporte,
Sur la terre déjà toute vie était morte.
Ils ne voyaient au loin que des troncs calcinés,
Sous le poids du simoun et du sable inclinés :
Semblables à ces mâts, grands débris des naufrages,
Qu’en ses jours de courroux la mer jette aux rivages,
Et qui dressent de loin, à l’oeil des matelots,
Leurs cadavres penchés et souillés par les flots.
Ainsi, sur les confins de la terre vivante,
Le désert dépliait son écume mouvante ;
Et le sable en bouillons débordait de son lit.
Comme une eau sur le feu qui bout et rejaillit.

Rassurés par la voix de l’homme qui les guide,
Les époux, abordant cette arène torride,
Comme un esquif se lance aux flots des océans,
Confièrent leurs pas à des sables béants.
Les ondulations des premières collines
Leur cachèrent bientôt les campagnes voisines.
L’horizon décroissant s’affaissa sous leurs yeux :
Ils ne voyaient au loin que la poudre et les cieux.
Leur route, serpentant de l’abîme au nuage,
D’un vaisseau qui talonne imitait le tangage ;
Le gouffre, dont à peine on les voyait sortir,
Ne les rendait au jour que pour les engloutir ;
Ils levaient un moment au sommet de ces lames
Leurs deux fronts que le jour colorait de ses flammes,
Comme l’on voit surgir. et plonger tour à tour
La voile des pêcheurs teinte des feux du jour.
Le vent qui fraîchissait, soufflant à leur figure,
Ballottait de Cédar la noire chevelure,
Et la faisait fouetter et claquer sur son dos
Avec un bruit pareil au claquement des flots.

Depuis que leurs regards avaient perdu la terre,
De leurs impressions symptôme involontaire,
Ils marchaient en silence et n’osaient échanger
Une pensée entre eux, trop pleins de leur danger :
Soit que la majesté de ce roulant abîme
Imprimât à leur lèvre une terreur intime ;
Soit que de leur péril le secret sentiment
Accumulât sa force en ce grave moment.
Comme une caravane aux défilés entrée,
Aucun son ne troublait leur marche mesurée ;
Le pied sourd du chameau ne retentissait pas :
Le sable absorbait tout, jusqu’au bruit de leurs pas.
Seulement, par instants, sous leur corps qui chancelle,
Il leur semblait entendre un bruit d’eau qui ruisselle.
Leur oreille, trompée, avec ravissement
Écoutait gazouiller ce doux ruissellement ;
Au murmure de l’eau leurs yeux cherchaient la source ;
Pour y tremper leur âme ils suspendaient leur course ;
Mais cette illusion bientôt se refoulait :
Ce n’était sous leurs pieds qu’un gravier qui coulait,
Comme si du désert cette arène tarie
Eût à l’aridité mêlé la raillerie.

Reflétés par la terre, les rayons du soleil
Fondaient leur tête nue et leur brûlaient l’orteil ;
Quelquefois sur le flanc d’un monticule sombre,
Se collant à la pente, ils goûtaient un peu d’ombre,
Et de leur front baissé laissant égoutter l’eau,
Ils reprenaient haleine et partaient de nouveau.
Ils marchèrent ainsi jusqu’à l’heure tardive
Où le soleil plongea sous ces vagues sans rive.
La brise de la lune enfin se fit sentir ;
La longue ombre du soir commença de vêtir
La nudité du sol d’apparences plus douces ;
L’oeil trompé le voyait teint d’herbes et de mousses.
Le désert, que renflait quelque roc souterrain,
Affectait la rudesse et les plis du terrain ;
Les coteaux élargis arrondissaient leurs croupes ;
Sur leurs pieds affaissés des monts nouaient leurs groupes,
Leurs flancs se découpaient sur le fond gris des cieux,
Les astres en rasaient les pics audacieux.
L’illusion jetait aux crêtes de ces chaînes
Les profils nuageux des cèdres et des chênes.
On aurait pu se croire errant sur quelques bancs
Des rochers du Taurus ou des monts des Libans,
Et, des sommets ombreux de leurs cimes voilées,
Voir leur neige écumer dans la nuit de vallées.

De ces illusions leur cœur se nourrissait ;
Sur leurs pas ralentis la nuit s’épaississait.
Dans le creux d’un vallon de cos trompeuses pentes
Où les rideaux des nuits furent leurs seules tentes,
Les époux épuisés s’arrêtèrent enfin :
Ils choisirent pou’ place un lit de sable fin.
Après avoir tiré le lait de sa mamelle,
ils remirent en garde à Stagyr la chamelle.
Ils mangèrent des fruits cueillis pour le chemin ;
Se passèrent après l’outre de main en main ;
Et, rendant grâce à Dieu de ces sobres délices,
Sc couchèrent en paix aux flancs des précipices.
Stagyr de quelques pas s’était éloigné d’eux.
Après tant de misère ils étaient là tous deux.
Ils entendaient dormir les cieux fruits de leur couche,
Un vent frais sur le front et du lait sur la bouche ;
Le cœur contre le cœur et la main dans la main,
Leur espoir se portait sur un long lendemain ;
Ils avaient retrouvé le ciel dans leur présence.

Il est dans les repos de l’humaine existence
De célestes moments, moments, hélas ! trop courts,
Où dans le cœur trop plein le sang suspend son cours,
Où des afflictions que le présent soulève
Sur l’esprit dilaté le poids n’est plus qu’un rêve,
Où, comme la brebis au tournant des saisons,
L’âme se sent pousser de nouvelles toisons,
Et, de ce lac de joie où Dieu l’a retrempée,
Sort sans se souvenir de sa toison coupée !
Semblables à ces jours de soleil pur et clair,
Jours de printemps jetés au milieu de l’hiver,
Qu’au-dessus du brouillard qui ternit les campagnes
Le voyageur rencontre au sommet des montagnes,
Où le rayon du ciel chauffe comme un manteau,
Où la lumière baigne et dore le coteau,
Où du brouillard des nuits le cèdre qui s’essuie
En rosée odorante égoutte aux pieds la pluie,
Où le merle frileux siffle au bord du chemin,
Où rien ne manque au jour, hélas ! qu’un lendemain !

Ainsi dans son repos ce couple solitaire
Se sentait vers le ciel enlevé de la terre ;
Ils se laissaient bercer par leur ravissement,
Ainsi que le nageur par le flot écumant.
Leur âme, a qui la paix rendait la confiance,
Ne se fatiguait plus d’obscure prévoyance ;
Sous les regards de Dieu qui les enveloppaient,
Comme leurs membres las, leurs cœurs s’abandonnaient.
Le front devant le front et les mains enlacées,
Leurs regards mutuels s’envoyaient leurs pensées.
Des étoiles du ciel les rayons amoureux
Enviaient les coups d’oeil qu’ils échangeaient entre eux.
Des brises de la nuit l’haleine parfumée
En effleurant leur bouche en était embaumée.
Leur âme s’exhalait dans un ardent soupir ;
Leurs-touchants entretiens ne pouvaient s’assoupir ;
Pour s’enivrer du son de la voix retrouvée,
Ils faisaient mille fois gazouiller leur couvée ;
Et pour saisir l’épaule ou le cou de l’amant,
Daïdha dépliait son bras déjà dormant ;
Cédar, pour écouter le souffle de sa bouche,
S’appuyait sur le coude au sable de sa couche.
Le sommeil du bonheur enfin ferma leurs yeux.

Astres, amis du cœur, qui regardiez des cieux !
De l’éclatante nuit brillantes providences,
Étoiles où montaient leurs chastes confidences !
Yeux ouverts du Seigneur sur l’ombre des déserts !
Esprits qui remplissez l’air, la terre et les mers ;
Anges de tous les noms, mystérieux fantômes
Dont le monde invisible est plus plein que d’atomes ;
Ministres du Très-Haut présent dans tous les lieux,
Qui passiez dans ces vents, qui luisiez dans ces feux,
Oh ! pourquoi, déjouant des desseins sacriléges,
N’avez-vous pas gardé ces beaux pieds de tous piéges ?
Pourquoi, pourquoi laisser jusqu’au réveil du jour
S’assoupir ces deux cœurs dans l’embûche d’amour ?
.N’avaient-ils point d’ami dans le monde céleste
Qui pût les éveiller d’une idée ou d’un geste ?
Pour l’incompréhensible et sainte volonté,
La ruine de l’homme est-elle volupté ?
Mais silence : envers Dieu la plainte est une offense ;
Ses anges ne sont saints que par l’obéissance !…
Quand la barre de feu fendit le firmament,
Ils furent éveillés par le gazouillement
Des enfants assoupis, dont la main étendue
Cherchait la coupe humaine à leurs lèvres rendue,
Mais que l’anxiété d’un sevrage cruel
Avait vidée, hélas, sur le sein maternel.
A ces doux cris, Cédar de son repos se lève ;
Il promène d’en haut ses regards sur la grève.
Trois fois d’une voix forte il appelle Stagyr :
De chaque pli du sable il croit le voir surgir ;
Mais sa voix, du désert seulement entendue,
Expire sans réponse et meurt dans l’étendue…

Son esprit est frappé d’une horrible lueur ;
Sa tête, sous l’effroi se couvrant de sueur,
Se tourne sous l’assaut de confuses idées ;
Son pied heurte en marchant les deux outres vidées,
Dont le sable stérile avait bu toute l’eau,
Et qui portaient aux flancs l’empreinte du couteau !
A ce témoin parlant de tant de perfidie,
Comme d’un coup mortel son âme est engourdie.
Aux yeux de Daïdha, pétrifiés d’horreur,
Ses yeux en se portant redoublent sa terreur.
Plus leur regard troublé dans le désert s’enfonce,
Plus à leur doute affreux la mort est la réponse.
Dans ce regard muet, dialogue sans mots,
D’une longue agonie ils ont bu tous les flots.
Du poids du désespoir leurs cous brisés se ploient ;
Pour mourir sur la place en silence ils s’assoient.
L’aspect de leurs enfants les secoue et les mord.
Ils s’éveillaient riant à l’aube de leur mort.
A leur vue, en sursaut Cédar encor se lève ;
Les yeux sur la poussière, interrogeant la grève,
Il cherche à retrouver dans le sable mouvant
La route de Stagyr ; mais les ailes du vent
Qui se lève au matin sur ces vagues arides
De l’océan de poudre ont nivelé les rides,
Et du guide infidèle enseveli les pas.
Le pied du passereau ne s’y connaîtrait pas.
Il revient épuisé de sa course inutile.
Daïdha, se penchant sur l’arène stérile,
A la place où de l’eau le sol était imbu,
Cherchait à retrouver l’onde qu’il avait bu,
Mordait le sable sec d’une lèvre farouche ;
Approchait les enfants, leur y collait la bouche,
Espérant que le sol, de leur soif attendri,
Ne refuserait pas de la rendre à leur cri ;
Et, bondissant sous elle ainsi qu’une panthère,
Comme pour se venger frappait du poing la terre.

Cédar, les bras levés, un moment regarda ;
Puis à ce vain délire arrachant Daïdha,
Et remettant au ciel un cœur transi de doute,
Pour qu’un guide invisible illuminât leur route,
Il prit un des enfants sur chacun de ses bras,
Et marcha sans savoir où le menaient ses pas
Daïdha, regardant l’horizon et sa brume,
Le désert qui poudroie ou le brouillard qui fume,
Montrant avec un cri son espoir de la main,
Le faisait revenir cent fois sur son chemin,
Voyant dans les vapeurs, sous son regard de mère,
Surgir à l’horizon chimère sur chimère :
A tous ces buts changés leur force succombait ;
D’un poids plus lourd sur eux le doute retombait ;
Sans cesse un repentir ramenait en arrière
Leurs pieds, dont les erreurs centuplaient la carrière ;
Puis, saisis tout à coup d’un nouveau repentir,
On les voyait s’asseoir, se lever, repartir.
Le soleil cependant, suspendu dans sa voûte,
Marquait de leur sueur les haltes de leur route ;
De leurs membres trempés leur vigueur ruisselait.
Daïdha se frappait les seins vicies de lait :
Au lieu du blanc nectar dont son malheur les sèvre,
Arrachant à Cédar ses enfants, sur leur lèvre
Elle faisait couler, pour les désaltérer,
Ses larmes, lait du cœur que les yeux font filtrer !
Mais le sel de ses pleurs, qui rend cette onde amère,
Détournait les petits des baisers de leur mère
<< Flanc qui les as portés, les laisses-tu mourir ?
Sein qui les a conçus, ne peux-tu les nourrir ?
Criait-elle en voyant toutes ses ruses vaines.
Oh ! s’ils voulaient du sang, je m’ouvrirais les’ veines ! »
Et déchirant sa peau de son ongle impuissant :
« Que n’êtes-vous lions ? vous lécheriez ce sang ! »
De ses cris maternels la douleur insensée,
En épuisant son corps, égarait sa pensée.
Cédar contre son cœur vainement l’appuyait ;
De ses bras contractés ce cher fardeau fuyait,
Et, lassé d’un espoir qui sans cesse retombe,
Embrassait le désert de feu, comme une tombe !

Les étoiles du ciel commençaient à jaillir,
La nuit de ses terreurs revint les assaillir ;
D’une étreinte mortelle, assis, ils s’embrassèrent,
Comme deux naufragés, et muets s’affaissèrent.
Nul n’osait de sa voix faire entendre le son ;
Leurs cœurs ne se parlaient que par leur seul frisson :
En proférant le mot qu’il eût fallu répondre,
Ils craignaient de sentir tout leur courage fondre.
Dans un sommeil trompeur leur faim s’assoupissant,
Le cri des deux jumeaux allait s’affaiblissant ;
Serrant ces petits corps entre leurs deux poitrines,
A peine entendaient-ils le vent de leurs narines.
Comme la poule encor couve mort son poussin,
La mère réchauffait ces deux corps dans son sein.
Oh ! durant cette longue et suprême insomnie,
Combien le sable but de gouttes d’agonie !
La brise du matin les rafraîchit un peu,
Le soleil nu monta comme un charbon de feu :
L’aube, qui se jouait splendide sur leur tête,
Teignit le firmament d’une couleur de fête..
Cette gaîté semblait une insulte des cieux.
Pour y chercher secours, ils levèrent les yeux :
Une cigogne, seule, à l’aile diaprée,
Sans doute, hélas ! aussi de sa route égarée,
Comme une longue. flèche à la fin de son vol,
Fendait l’air résonnant à quelques pieds du sol,
Dans ses deux pattes d’or emportant avec elle
Un de ses chers petits à l’ombre sous son aile.
L’oiseau, comme étonné de l’aspect des humains,
S’approcha d’eux ; Cédar éleva 1e3 deux mains
Comme pour arrêter cet ami dans sa course,
Et conjurer l’oiseau de lui montrer la source.
Le fort vent de son vol effleura ses cheveux ;
Mais l’oiseau s’éloigna sans entendre ses vœux.
Ils suivirent longtemps, de colline en colline,
Son vol bas, jusqu’au bord où l’horizon décline,
Et marchèrent plus seuls quand l’oiseau disparut.
Le matin de ce jour, un des jumeaux mourut ;
L’autre mourut le soir. Faux sourire de joie
Qui finit en sanglots et qu’une larme noie !
Cédar n’entendit pas mourir leurs souffles sourds :
Seulement il sentit leurs corps froids et plus lourds ;
Leurs têtes, qui pendaient au bras qui les supporte,
Battirent sur son corps comme une chose morte.
Son oeil pétrifié sans pleurs les regarda,
Et, de son seul bras libre enlaçant Daïdha,
Il s’enfuit emportant ses fils morts et sa femme,
Comme un spectre emportant les trois parts de son âme,
Ou comme la victime échappée au boucher,
Qui traîne dans son sang les lambeaux de sa chair.

Il courut au hasard jusqu’au bout de sa laisse,
Tant que ses nerfs tendus trompèrent sa faiblesse.
Ces pas pressés, ce poids, ce fougueux mouvement,
De ses maux à son âme ôtaient le sentiment.
Quand son pied s’arrêta, ses forces succombèrent ;
Sur lui, de tout leur poids, ses fardeaux retombèrent ;
Daïdha, de son sein, sur le sable glissa ;
Ses enfants sur son cœur, lui-même il s’affaissa.
Précurseur de la mort, dont il était l’image,
Le sommeil sur ses yeux répandit son mirage,
Et, de songes trompeurs abusant sa raison,
De ruisseaux et de lacs inonda l’horizon.

Quand il se réveilla de cette léthargie,
Le matin à ses sens rendait quelque énergie ;
La nature lutta, plus forte que la mort ;
Son oeil crut du désert apercevoir le bord :
« Oh ! lève-toi, dit-il, si ton cœur bat encore ;
Je vois des hauts palmiers tout noyés dans l’aurore !
Les anges du Seigneur ont eu pitié de toi.
– Me lever ! me lever ! dit la mère, et pourquoi !
Tu voudrais, du désert m’infligeant le supplice,
Faire mourir de soif mes enfants sur sa lice ?
Oh ! non, non, à mes bras le ciel les a rendus !
Par ce cœur à jamais ils y sont défendus.
Vois comme ils sont heureux aux bords garnis de mousses,
Où leurs petites mains puisent des eaux si douces !
Comme du nénufar l’ombre les rafraîchit !
Comme du citronnier le rameau qui fléchit
Roule à leurs pieds joueurs ses savoureuses pommes !
Que de fleurs, que de miel, que de sucs et de gommes
Distillent de l’écorce ou pleuvent des rameaux,
Ou de la ruche pleine échappent en ruisseaux !…
Qu’il fait bon en ces lieux, qu’un seul aspect offense,
Que menace un seul mal ! bourreau, c’est ta présence !…
Et, regardant Cédar avec ce long regard
Où l’oeil de l’insensé semble rougir un dard,
Daïdha reculait sa tête renversée,
Et d’un geste à l’époux traduisait sa pensée ;
Pressant contre son cœur, hélas ! ses enfants morts,
Elle les dérobait dans les plis de son corps !

En vain, des plus doux noms conjurant ce délire,
Cédar cherchait ses yeux, leur parlait du sourire ;
Ses plus tendres regards n’inspiraient que terreur,
Elle n’avait pour lui que geste et cri d’horreur !
Ah ! ce fut là le fond de son amer calice !
Dans la dernière goutte il but tout son supplice.
Dans ce sort à son sort par le trépas lié,
Son cœur fort jusque-là s’était multiplié :
Mourir, oui ! mais mourir aimé de ce qu’on aime
Attendrirait du moins l’embrassement suprême !
S’en aller réunis vers un plus doux séjour,
Cette agonie encore eût été de l’amour !
Mais n’être plus connu de cet oeil fixe et sombre,
Du seul point lumineux qui restât dans son ombre !
Ne pouvoir rappeler du regard, de la voix,
Ce rayon dont l’amour l’inondait autrefois !
Frapper de sa parole une oreille de pierre,
Ne trouver qu’un abîme au fond de sa paupière !
Que dis-je ? être soudain devenu pour ses yeux
L’objet le plus étrange et le plus odieux !
La voir tendre les mains pour que Dieu la délivre !
Ah ! c’est mourir cent fois par ce qui faisait vivre !
C’est voir le passé même échapper ! c’est sentir
Le cœur où s’appuyait le cœur s’anéantir !

A l’horrible lueur de ce tourment suprême,
Cédar douta de lui, d’elle, de Dieu lui-même ;
Comme un homme qui sent finir tout sentiment,
Son âme eut du néant l’évanouissement.
Il roula dans ce gouffre, écrasé sur les pointes.
Le cou plié, le pied en avant, les mains jointes,
Immobile il resta contemplant Daïdha,
Et la mer de douleurs flot à flot l’inonda.
Quand il revint à lui pour marcher vers l’aurore,
Il voulut dans ses bras la soulever encore :
Mais Daïdha, nouant ses doigts comme attachés
Aux maigres filaments d’arbustes desséchés,
Et cramponnée au sol d’une étreinte farouche,
De poussière et de sang se remplissait la bouche ;
Et, couvrant contre lui ses enfants de son sein,
Dans son époux, hélas ! voyait leur assassin.
Il ne put l’arracher, trop faible, de la terre
Où sa fureur cherchait une mort volontaire ;.
Il alla quêter seul au loin la goutte d’eau,
Et, marchant plus léger sans son triple fardeau ,
Il espéra trouver la source poursuivie,
Et, devançant la mort, lui rapporter la vie.

Il partit vers la plage où l’espoir avait lui.
Le sable du désert disparaissait sous lui.
Ainsi qu’un fossoyeur qui mesure une tombe
Et marque en enjambant la place où son pied tombe,
Les anges le voyaient arpenter à grands pas,
Dans le deuil de son cœur, le champ de son trépas.
Son ombre le suivait comme une aile cassée
Que traîne sur le sol la cigogne blessée.
Les pentes du désert par degrés s’abaissaient ;
Sous le sable déjà les pierres le blessaient ;
Les têtes des palmiers d’une terre féconde
Sortaient de l’horizon comme les mâts de l’onde.
Sous le voile ondoyant de ses bords de roseaux
Le fleuve tout à coup lui déroula ses eaux.
Cet aspect lui rendit l’espérance et la force ;
D’un palmier séculaire il déchira l’écorce,
Sa main en large coupe en déplia les bords :
II descendit au fleuve, il y plongea son corps.
Écumante au niveau de sa lèvre altérée,
Flottait la brise humide et la vague azurée :
Il détourna de l’eau sa bouche et son regard
Avant que son amour en eût goûté sa part ;
Il en remplit l’écorce, et, reprenant sa route,
Tout tremblant que sa main n’en perdît une goutte,
Il courut le corps droit, les deux mains en avant,
Retrouva tous ses pas sur le terrain mouvant ;
Et de tout son amour voyant de loin le groupe.
Sur la tête en criant il éleva la coupe.

Hélas ! à cette voix nulle ne répondit !
Vers le bras qu’il tendait nul bras ne s’étendit.
Daïdha sommeillait sur sa dernière couche.
L’air ne frémissait plus du souffle de sa bouche.
Le lézard s’approchait ; la mouche et la fourmi
Parcouraient librement son visage endormi ;
Sur sa lèvre entr’ouverte on pouvait encor lire
Le sourire insensé de son dernier délire.
Les jumeaux en travers sur elle étaient couchés,
Leurs visages au sein étaient encor penchés :
On eût dit, à la fin d’une longue journée,
Aux cris de ses enfants la mère retournée,
En leur donnant le lait surprise de sommeil,
Et dormant avec eux seule et nue au soleil !

A l’immobilité de ce funèbre groupe
Il reconnut la mort ! et, renversant la coupe,
Il regarda couler sa vie avec cette eau,
Comme un désespéré son sang sous le couteau !
Puis, se roulant aux pieds des êtres qu’il adore,
Et frappant de ses poings sa poitrine sonore,
Pour courir autour d’eux bientôt se relevant,
Tel qu’un taureau qui fait de la poussière au vent,
Il ramassait du sable en sa main indignée ;
Et contre un ciel d’airain le lançant à poignée,
Comme l’insulte au front que l’on veut offenser,
Il eût voulu tenir son cœur pour le lancer !

« O terre ! criait-il, ô marâtre de l’homme !
Sois maudite à jamais dans le nom qui te nomme !
Dans tout brin de ton sable, et tout brin de gazon
D’où la vie et l’esprit sortent comme un poison !
Dans la séve de mort qui sous ta peau circule,
Dans l’onde qui t’abreuve et le feu qui te brûle,
Dans l’air empoisonné que tu fais respirer
A l’être, ton jouet, qui naît pour expirer !
Dans ses os, dans sa chair, dans son sang, dans sa fibre,
Où le sens du supplice est le seul sens qui vibre !
Où de tout cœur humain les palpitations
Ne sont de la douleur que les pulsations !
Où l’homme, cet enfant d’outrageante ironie,
Ne mesure son temps que par son agonie !
Où ce souffle animé, qui s’exhale un moment,
Ne se connaît esprit qu’à son gémissement !
Tout être que de toi l’inconnu fait éclore .
Gémit en t’arrivant, en s’en allant t’abhorre !
Nul homme ne se lève un jour de son séant
Que pour frapper du pied et pleurer le néant !
Que maudite à jamais, qu’à jamais effacée,
Soit l’heure lamentable où je t’ai traversée !
Que ta fange m’oublie et ne conserve pas
Une heure seulement la trace de mes pas !
Que le vent, qui te touche à regret de ses ailes,
De nos corps consumés disperse les parcelles !
Que sur ta face, ô terre ! il ne reste de moi
Que l’imprécation que je jette sur toi ! »

Pour unique réponse à son mortel délire,
L’air muet retentit d’un long éclat de rire.
Derrière un monticule il vit de près surgir
Les fronts de cinq géants et du traître Stagyr.
« Meurs, lui crièrent-ils, vile brute aux traits d’ange !
Ta force nous vainquit, mais la fourbe nous venge.
Laissons cette pâture aux chacals des déserts ;
Sa mort nous laisse dieux, et l’homme attend nos fers ! »
Ils dirent ; et tournant le dos, ils disparurent,
Et leurs voix par degrés sur le désert moururent.

Cédar, dont leur mépris fut le dernier adieu,
A cet excès d’horreur se dressa contre Dieu.
Tout l’univers tourna dans sa tête insensée ;
Il n’eut plus qu’une soif, un but, une pensée :
Anéantir son cœur et le jeter au vent.
Comme un gladiateur blessé se relevant,
Il cueillit sur les flancs arides des collines
Une immense moisson de ronces et d’épines
Autour du groupe mort où son pied les roula,
En bûcher circulaire il les accumula ;
Puis, prenant dans ses bras ses enfants et sa femme,
Ces trois morts sur le cœur, il attendit la flamme.

La flamme, en serpentant dans l’énorme foyer
Que le vent du désert fit bientôt ondoyer,
Comme une mer qui monte au naufrage animée,
L’ensevelit vivant sous des flots de fumée.
L’édifice de feu par degrés s’affaissa.
Du ciel sur cette flamme un esprit s’abaissa,
Et d’une aile irritée éparpillant la cendre :
« Va ! descends, cria-t-il, toi qui voulus descendre !
Mesure, esprit tombé, ta chute et ton remord !
Dis le goût de la vie et celui de la mort !
Tu ne remonteras au ciel qui te vit naître
Que par les cent degrés de l’échelle de l’être,
Et chacun en montant te brûlera le pié ;
Et ton crime d’amour ne peut être expié.
Qu’après que cette cendre aux quatre vents semée,
Par le temps réunie et par Dieu ranimée,
Pour faire à ton esprit de nouveaux vêtements
Aura repris ton corps à tous les éléments,
Et, prêtant à ton âme une enveloppe neuve,
Renouvelé neuf fois ta vie et ton épreuve ;
A moins que le pardon, justice de l’amour.
Ne descende vivant dans ce mortel séjour ! »

L’ouragan, à ces mots se levant sur la plaine,
Souffla sur le bûcher de toute son haleine,
Et dispersa la cendre en pâles tourbillons,
Comme un semeur, l’hiver, la semence aux sillons.
L’immobile désert sentit frémir sa poudre,
L’occident se couvrit de menace et de foudre ;
Des nuages pesants, pleins de tonnerre et d’eau,
Posèrent sur les monts comme un sombre fardeau ;
L’homme, le front levé vers la céleste voûte,
Du déluge sentit une première goutte.



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