Phèdre par Jean Racine
Phèdre, Thésée
PHÈDRE
Seigneur, je viens à vous, pleine d’un juste effroi;
Votre voix redoutable a passé jusqu’à moi:
Je crains qu’un prompt effet n’ait suivi la menace.
S’il en est temps encore, épargnez votre race,
Respectez votre sang; j’ose vous en prier:
Sauvez-moi de l’horreur de l’entendre crier;
Ne me préparez point la douleur éternelle
De l’avoir fait répandre à la main paternelle.
THÉSÉE
Non, madame, en mon sang ma main n’a point trempé;
Mais l’ingrat toutefois ne m’est point échappé:
Une immortelle main de sa perte est chargée,
Neptune me la doit; et vous serez vengée.
PHÈDRE
Neptune vous la doit ! Quoi ! vos vœux irrités…
THÉSÉE
Quoi ! craignez-vous déjà qu’ils ne soient écoutés ?
Joignez-vous bien plutôt à mes vœux légitimes:
Dans toute leur noirceur retracez-moi ses crimes,
Échauffez mes transports trop lents, trop retenus.
Tous ses crimes encor ne vous sont point connus:
Sa fureur contre vous se répand en injures;
Votre bouche, dit-il, est pleine d’impostures;
Il soutient qu’Aricie a son cœur, a sa foi,
Qu’il l’aime.
PHÈDRE
Qu’il l’aime. Quoi, seigneur !
THÉSÉE
Qu’il l’aime. Quoi, seigneur ! Il l’a dit devant moi:
Mais je sais rejeter un frivole artifice.
Espérons de Neptune une prompte justice:
Je vais moi-même encore au pied de ses autels
Le presser d’accomplir ses serments immortels.
Phèdre ACTE quatrième Scène 4
La pièce de Théâtre Phèdre par Jean Racine.