Marie II

Dans  Marie,  Poésie Auguste Brizeux
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Assez, sonneur, assez ! Vous briserez la cloche !
Sa voix par les vallons roule de roche en roche.
Les pâtres dans l’étable ont renfermé les boeufs.
« Le catéchisme sonne, Iann, peignez vos cheveux.
— Vous me rapporterez, Daniel, de l’eau bénite.
— Et vous, partez aussi, Marie, et courez vite. »
Chaque jour, vers midi, par un ciel chaud et lourd,
Elle arrivait pieds nus à l’église du bourg,
Dans les beaux mois d’été, lorsqu’au bord d’une haie
On réveille en passant un lézard qui s’effraie,

Quand les grains des épis commencent à durcir,
Les herbes à sécher, et l’airelle à noircir ;
D’autres enfants aussi venaient de leur village,
Tous, pieds nus, en chemin écartant le feuillage
Pour y trouver des nids, et tous à leur chapeau
Portant ces nénuphars qui fleurissent sur l’eau.
Alors le vieux curé, par un long exercice,
Nous préparait ensemble au divin sacrifice,
Lisait le catéchisme, et, nous donnant le ton,
Entonnait à l’autel un cantique breton.
Mêlant nos grands cheveux, serrés l’un contre l’autre,
Nous écoutions ainsi la voix du digne apôtre ;
Lui, sa gaule à la main, passait entre les rangs
Et mettait les rieurs à genoux sur leurs bancs. —
Que celui dont l’enfance ennuyée et stérile
A langui tristement au milieu d’une ville,
Dans une cour obscure, une chambre, où ses yeux
A peine entrevoyaient la verdure et les cieux,
Se raille du passé, le dédaigne et l’offense !
Hélas ! Le malheureux n’a jamais eu d’enfance ;
Il n’a pas grandi libre et joyeux en plein air,
Au murmure des pins, sur le bord de la mer ;
L’odeur de la forêt, et pénétrante et vive,
N’a point trempé ses sens ; et quelque amour naïve,
Demeurée en son coeur à travers l’avenir,
Jamais, vieux et chagrin, ne peut le rajeunir…
Oh ! Quand venait Marie, ou lorsque le dimanche,
A vêpres, je voyais briller sa robe blanche,
Et qu’au bas de l’église elle arrivait enfin,
Se cachant à demi sous sa coiffe de lin,
Volontiers j’aurais cru voir la vierge immortelle,
Ainsi qu’elle appelée, et bonne aussi comme elle !
Savais-je en ce temps-là pourquoi mon coeur l’aimait,
Si ses yeux étaient bleus, si sa voix me charmait,
Ou sa taille élancée, ou sa peau brune et pure ?
Non ! J’aimais une jeune et douce créature,
Et sans chercher comment, sans me rien demander,
L’office se passait à nous bien regarder.
Je lui disais parfois : « Embrassons-nous, Marie ! »
Et je prenais ses mains ; mais vers sa métairie
La sauvage fuyait ; et moi, jeune amoureux,
Je courais sur ses pas au fond du chemin creux ;
Longtemps je la suivais, sous le bois, dans la lande,
Dans les prés tout remplis d’une herbe épaisse et grande ;
Enfin je m’arrêtais, ne pouvant plus la voir.
Elle, courant toujours, arrivait au Moustoir.

Jours passés, que chacun rappelle avec des larmes,
Jours qu’en vain l’on regrette, aviez-vous tant de charmes ?
Ou les vents troublaient-ils aussi votre clarté,
Et l’ennui du présent fait-il votre beauté ?
Notre premier malheur est notre sûre épreuve.
A ce coup imprévu toute âme belle et neuve
Se révolte, et se plaint amèrement à Dieu
D’un mal inexplicable et mérité si peu ;
Mais tendre et résignée, et se sentant meilleure,
Sur le malheur d’autrui cette âme rêve et pleure.
Le méchant se révolte aussi contre le ciel ;
Mais chez lui le courroux bientôt se change en fiel :
Du mal, en souriant, il sonde le mystère,
Et prévoit qu’on en peut tirer parti sur terre.

 

Un poème d’Auguste Brizeux



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