L’Oraison de Saint Julien

Dans  Contes Libertins 2nd partie
4.4/5 - (10 votes)
Vous lui mettrez un peu de paille nette;
Et là dedans il faudra l’enfermer:
De nos reliefs vous le ferez souper
Auparavant, puis l’envoyez coucher.
Sans cet arrêt c’était fait de la vie
Du bon Renaud. On ouvre, il remercie;
Dit qu’on l’avait retiré du tombeau,
Conte son cas, reprend force et courage:
Il était grand, bien fait, beau personnage,
Ne semblait même homme en amour nouveau
, Quoiqu’il fût jeune. Au reste il avait honte
De sa misère, et de sa nudité:
L’Amour est nu, mais il n’ est pas crotté.
Renaud dedans, la chambrière monte;
Et va conter le tout de point en point.
La dame dit: Regardez si j’ai point
Quelque habit d’homme encor dans mon armoire:
Car feu Monsieur en doit avoir laissé.
Vous en avez, j’en ai bonne mémoire,
Dit la servante. Elle eut bientôt trouvé
Le vrai ballot. Pour plus d’honnêteté,
La dame ayant appris la qualité
De Renaud d’Ast (car il était nommé)
Dit qu’on le mît au bain chauffé pour elle.
Cela fut fait; il ne se fit prier.
On le parfume avant que l’habiller.
Il monte en haut, et fait à la donzelle
Son compliment, comme homme bien appris.
On sert enfin le souper du marquis.
Renaud mangea tout ainsi qu’un autre homme;
Même un peu mieux; la chronique le dit:
On peut à moins gagner de l’appétit.
Quant à la veuve, elle ne fit en somme
Que regarder, témoignant son désir:
Soit que déjà l’attente du plaisir
L’eut disposée; ou soit par sympathie;
Ou que la mine, ou bien le procédé
De Renaud d’Ast eussent son coeur touché.
De tous cotes se trouvant assaillie,
Elle se rend aux semonces d’Amour.
Quand je ferai, disait-elle, ce tour,
Qui l’ira dire ? il n’y va rien du nôtre.
Si le marquis est quelque peu trompé,
Il le mérite, et doit l’avoir gagné,
Ou gagnera; car c’est un bon apôtre.
Homme pour homme et pêché pour pêché
Autant me vaut celui-ci que cet autre.
Renaud n’était si neuf qu’il ne vît bien
Que l’oraison de Monsieur saint Julien
Ferait effet, et qu’il aurait bon gîte.
Lui hors de table, on dessert au plus vite.
Les voilà seuls: et pour le faire court
En beau début. La dame était mise
En un habit à donner de l’amour.
La négligence à mon gré si requise,
Pour cette fois fut sa dame d’atour.
Point de clinquant, jupe simple et modeste
Ajustement moins superbe que leste;
Un mouchoir noir de deux grands doigts trop court


Pages: 1 2 3


Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/