Les Fourberies de Scapin ACTE I Scène 4

Dans  Les Fourberies de Scapin
1/5 - (1 vote)

Les Fourberies de Scapin ACTE I Scène 4

Les Fourberies de Scapin par Molière

Argante, Scapin, Silvestre.

Argante, se croyant seul.

A-t-on jamais ouï parler d’une action pareille à celle-là ?

Scapin, à Silvestre.

Il a déjà appris l’affaire, et elle lui tient si fort en tête que tout seul il en parle haut.

Argante, se croyant seul.

Voilà une témérité bien grande !

Scapin, à Silvestre.

Écoutons-le un peu.

Argante, se croyant seul.

Je voudrais bien savoir ce qu’ils me pourront dire sur ce beau mariage.

Scapin, à part.

Nous y avons songé.

Argante, se croyant seul.

Tâcheront-ils de me nier la chose ?

Scapin, à part.

Non, nous n’y pensons pas.

Argante, se croyant seul.

Ou s’ils entreprendront de l’excuser ?

Scapin, à part.

Celui-là se pourra faire.

Argante, se croyant seul.

Prétendront-ils m’amuser par des contes en l’air ?

Scapin, à part.

Peut-être.

Argante, se croyant seul.

Tous leurs discours seront inutiles.

Scapin, à part.

Nous allons voir.

Argante, se croyant seul.

Ils ne m’en donneront point à garder.

Scapin, à part.

Ne jurons de rien.

Argante, se croyant seul.

Je saurai mettre mon pendard de fils en lieu de sûreté.

Scapin, à part.

Nous y pourvoirons.

Argante, se croyant seul.

Et pour le coquin de Silvestre, je le rouerai de coups.

Silvestre, à Scapin.

J’étais bien étonné s’il m’oubliait.

Argante, apercevant Silvestre.

Ah ! ah ! vous voilà donc, sage gouverneur de famille, beau directeur de jeunes gens.

Scapin

Monsieur, je suis ravi de vous voir de retour.

Argante

Bonjour, Scapin. (À Silvestre.) Vous avez suivi mes ordres vraiment d’une belle manière, et mon fils s’est comporté fort sagement pendant mon absence.

Scapin

Vous vous portez bien, à ce que je vois ?

Argante

Assez bien. (À Silvestre.) Tu ne dis mot, coquin, tu ne dis mot.

Scapin

Votre voyage a-t-il été bon ?

Argante

Mon Dieu ! fort bon. Laisse-moi un peu quereller en repos.

Scapin

Vous voulez quereller ?

Argante

Oui, je veux quereller.

Scapin

Et qui, Monsieur ?

Argante, montrant Silvestre.

Ce maraud-là.

Scapin

Pourquoi ?

Argante

Tu n’as pas ouï parler de ce qui s’est passé dans mon absence ?

Scapin

J’ai bien ouï parler de quelque petite chose.

Argante

Comment quelque petite chose ! Une action de cette nature ?

Scapin

Vous avez quelque raison.

Argante

Une hardiesse pareille à celle-là ?

Scapin

Cela est vrai.

Argante

Un fils qui se marie sans le consentement de son père ?

Scapin

Oui, il y a quelque chose à dire à cela. Mais je serais d’avis que vous ne fissiez point de bruit.

Argante

Je ne suis pas de cet avis, moi, et je veux faire du bruit tout mon soûl. Quoi, tu ne trouves pas que j’aie tous les sujets du monde d’être en colère ?

Scapin

Si fait, j’y ai d’abord été, moi, lorsque j’ai su la chose, et je me suis intéressé pour vous, jusqu’à quereller votre fils. Demandez-lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l’ai chapitré sur le peu de respect qu’il gardait à un père dont il devrait baiser les pas. On ne peut pas lui mieux parler, quand ce serait vous-même. Mais quoi ? je me suis rendu à la raison, et j’ai considéré que dans le fond, il n’a pas tant de tort qu’on pourrait croire.

Argante

Que me viens-tu conter ? Il n’a pas tant de tort de s’aller marier de but en blanc avec une inconnue ?

Scapin

Que voulez-vous ? il y a été poussé par sa destinée.

Argante

Ah ! ah ! voici une raison la plus belle du monde. On n’a plus qu’à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner, et dire pour excuse qu’on y a été poussé par sa destinée.

Scapin

Mon Dieu ! vous prenez mes paroles trop en philosophe. Je veux dire qu’il s’est trouvé fatalement engagé dans cette affaire.

Argante

Et pourquoi s’y engageait-il ?

Scapin

Voulez-vous qu’il soit aussi sage que vous ? Les jeunes gens sont jeunes, et n’ont pas toute la prudence qu’il leur faudrait, pour ne rien faire que de raisonnable: témoin notre Léandre, qui malgré toutes mes leçons, malgré toutes mes remontrances, est allé faire de son côté pis encore que votre fils. Je voudrais bien savoir si vous-même n’avez pas été jeune, et n’avez pas dans votre temps, fait des fredaines comme les autres. J’ai ouï dire, moi, que vous avez été autrefois un compagnon parmi les femmes, que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes de ce temps-là, et que vous n’en approchiez point que vous ne poussassiez à bout.

Argante

Cela est vrai. J’en demeure d’accord; mais je m’en suis toujours tenu à la galanterie, et je n’ai point été jusqu’à faire ce qu’il a fait.

Scapin

Que vouliez-vous qu’il fît ? Il voit une jeune personne qui lui veut du bien (car il tient de vous, d’être aimé de toutes les femmes). Il la trouve charmante. Il lui rend des visites, lui conte des douceurs, soupire galamment, fait le passionné. Elle se rend à sa poursuite. Il pousse sa fortune. Le voilà surpris avec elle par ses parents, qui, la force à la main, le contraignent de l’épouser.

Silvestre, à part.

L’habile fourbe que voilà !

Scapin

Eussiez-vous voulu qu’il se fût laissé tuer ? Il vaut mieux encore être marié qu’être mort.

Argante

On ne m’a pas dit que l’affaire se soit ainsi passée.

Scapin, montrant Silvestre.

Demandez-lui plutôt: Il ne vous dira pas le contraire.

Argante, à Silvestre.

C’est par force qu’il a été marié ?

Silvestre

Oui, Monsieur.

Scapin

Voudrais-je vous mentir ?

Argante

Il devait donc aller tout aussitôt protester de violence chez un notaire.

Scapin

C’est ce qu’il n’a pas voulu faire.

Argante

Cela m’aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage.

Scapin

Rompre ce mariage !

Argante

Oui.

Scapin

Vous ne le romprez point.

Argante

Je ne le romprai point ?

Scapin

Non.

Argante

Quoi ? je n’aurai pas pour moi les droits de père, et la raison de la violence qu’on a faite à mon fils ?

Scapin

C’est une chose dont il ne demeurera pas d’accord.

Argante

Il n’en demeurera pas d’accord ?

Scapin

Non.

Argante

Mon fils ?

Scapin

Votre fils. Voulez-vous qu’il confesse qu’il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu’on lui ait fait faire les choses ? Il n’a garde d’aller avouer cela. Ce serait se faire tort, et se montrer indigne d’un père comme vous.

Argante

Je me moque de cela.

Scapin

Il faut, pour son honneur, et pour le vôtre, qu’il dise dans le monde que c’est de bon gré qu’il l’a épousée.

Argante

Et je veux moi, pour mon honneur et pour le sien, qu’il dise le contraire.

Scapin

Non, je suis sûr qu’il ne le fera pas.

Argante

Je l’y forcerai bien.

Scapin

Il ne le fera pas, vous dis-je.

Argante

Il le fera, ou je le déshériterai.

Scapin

Vous ?

Argante

Moi.

Scapin

Bon.

Argante

Comment, bon ?

Scapin

Vous ne le déshériterez point.

Argante

Je ne le déshériterai point ?

Scapin

Non.

Argante

Non ?

Scapin

Non.

Argante

Hoy ! Voici qui est plaisant: je ne déshériterai pas mon fils.

Scapin

Non, vous dis-je.

Argante

Qui m’en empêchera ?

Scapin

Vous-même.

Argante

Moi ?

Scapin

Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là.

Argante

Je l’aurai.

Scapin

Vous vous moquez.

Argante

Je ne me moque point.

Scapin

La tendresse paternelle fera son office.

Argante

Elle ne fera rien.

Scapin

Oui, oui.

Argante

Je vous dis que cela sera.

Scapin

Bagatelles.

Argante

Il ne faut point dire bagatelles.

Scapin

Mon Dieu ! je vous connais, vous êtes bon naturellement.

Argante

Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Finissons ce discours qui m’échauffe la bile. (À Silvestre) Va-t’en, pendard, va-t’en me chercher mon fripon, tandis que j’irai rejoindre le seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce.

Scapin

Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n’avez qu’à me commander.

Argante

Je vous remercie. (À part) Ah ! pourquoi faut-il qu’il soit fils unique ! et que n’ai-je à cette heure la fille que le Ciel m’a ôtée, pour la faire mon héritière !

Les Fourberies de Scapin par Jean Baptiste Poquelin: Molière

Une pièce de théâtre de Molière



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/