Les Fourberies de Scapin ACTE I Scène 3

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Les Fourberies de Scapin ACTE I Scène 3

Les Fourberies de Scapin par Molière

Hyacinte, Octave, Scapin, Silvestre.

Hyacinte

Ah ! Octave, est-il vrai ce que Silvestre vient de dire à Nérine ? que votre père est de retour, et qu’il veut vous marier ?

Octave

Oui, belle Hyacinte, et ces nouvelles m’ont donné une atteinte cruelle. Mais que vois-je ? vous pleurez ! Pourquoi ces larmes ? Me soupçonnez-vous, dites-moi, de quelque infidélité, et n’êtes-vous pas assurée de l’amour que j’ai pour vous ?

Hyacinte

Oui, Octave, je suis sûre que vous m’aimez; mais je ne le suis pas que vous m’aimiez toujours.

Octave

Eh ! peut-on vous aimer qu’on ne vous aime toute sa vie ?

Hyacinte

J’ai ouï dire, Octave, que votre sexe aime moins longtemps que le nôtre, et que les ardeurs que les hommes font voir sont des feux qui s’éteignent aussi facilement qu’ils naissent.

Octave

Ah ! ma chère Hyacinte, mon cœur n’est donc pas fait comme celui des autres hommes, et je sens bien pour moi que je vous aimerai jusqu’au tombeau.

Hyacinte

Je veux croire que vous sentez ce que vous dites, et je ne doute point que vos paroles ne soient sincères; mais je crains un pouvoir qui combattra dans votre cœur les tendres sentiments que vous pouvez avoir pour moi. Vous dépendez d’un père, qui veut vous marier à une autre personne; et je suis sûre que je mourrai, si ce malheur m’arrive.

Octave

Non, belle Hyacinte, il n’y a point de père qui puisse me contraindre à vous manquer de foi, et je me résoudrai à quitter mon pays, et le jour même, s’il est besoin, plutôt qu’à vous quitter. J’ai déjà pris, sans l’avoir vue, une aversion effroyable pour celle que l’on me destine; et, sans être cruel, je souhaiterais que la mer l’écartât d’ici pour jamais. Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hyacinte, car vos larmes me tuent, et je ne les puis voir sans me sentir percer le cœur.

Hyacinte

Puisque vous le voulez, je veux bien essuyer mes pleurs, et j’attendrai d’un œil constant ce qu’il plaira au Ciel de résoudre de moi.

Octave

Le Ciel nous sera favorable.

Hyacinte

Il ne saurait m’être contraire, si vous m’êtes fidèle.

Octave

Je le serai assurément.

Hyacinte

Je serai donc heureuse.

Scapin, à part.

Elle n’est point tant sotte, ma foi ! et je la trouve assez passable.

Octave, montrant Scapin.

Voici un homme qui pourrait bien, s’il le voulait, nous être dans tous nos besoins, d’un secours merveilleux.

Scapin

J’ai fait de grands serments de ne me mêler plus du monde; mais, si vous m’en priez bien fort tous deux, peut-être…

Octave

Ah ! s’il ne tient qu’à te prier bien fort pour obtenir ton aide, je te conjure de tout mon cœur de prendre la conduite de notre barque.

Scapin, à Hyacinte.

Et vous, ne me dites-vous rien ?

Hyacinte

Je vous conjure, à son exemple, par tout ce qui vous est le plus cher au monde, de vouloir servir notre amour.

Scapin

Il faut se laisser vaincre, et avoir de l’humanité. Allez, je veux m’employer pour vous.

Octave

Crois que…

Scapin

Chut ! (À Hyacinte.) Allez-vous-en, vous, et soyez en repos. (À Octave.) Et vous, préparez-vous à soutenir avec fermeté l’abord de votre père.

Octave

Je t’avoue que cet abord me fait trembler par avance, et j’ai une timidité naturelle que je ne saurais vaincre.

Scapin

Il faut pourtant paraître ferme au premier choc, de peur que, sur votre faiblesse, il ne prenne le pied de vous mener comme un enfant. Là, tâchez de vous composer par étude un peu de hardiesse, et songez à répondre résolument sur tout ce qu’il pourra vous dire.

Octave

Je ferai du mieux que je pourrai.

Scapin

Çà, essayons un peu, pour vous accoutumer. Répétons un peu votre rôle et voyons si vous ferez bien. Allons. La mine résolue, la tête haute, les regards assurés.

Octave

Comme cela ?

Scapin

Encore un peu davantage.

Octave

Ainsi ?

Scapin

Bon. Imaginez-vous que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement comme si c’était à lui-même. ” Comment, pendard, vaurien, infâme, fils indigne d’un père comme moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux après tes bons déportements, après le lâche tour que tu m’as joué pendant mon absence ? Est-ce là le fruit de mes soins, maraud ? est-ce là le fruit de mes soins ? le respect qui m’est dû ? le respect que tu me conserves ? ” Allons donc. ” Tu as l’insolence, fripon, de t’engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage clandestin ? Réponds-moi, coquin, réponds-moi. Voyons un peu tes belles raisons. ” Oh ! que diable ! vous demeurez interdit !

Octave

C’est que je m’imagine que c’est mon père que j’entends.

Scapin

Eh ! oui. C’est par cette raison qu’il ne faut pas être comme un innocent.

Octave

Je m’en vais prendre plus de résolution, et je répondrai fermement.

Scapin

Assurément ?

Octave

Assurément.

Silvestre

Voilà votre père qui vient.

Octave

Ô Ciel ! je suis perdu.

Scapin

Holà ! Octave, demeurez. Octave ! Le voilà enfui. Quelle pauvre espèce d’homme ! Ne laissons pas d’attendre le vieillard.

Silvestre

Que lui dirai-je ?

Scapin

Laisse-moi dire, moi, et ne fais que me suivre.

Les Fourberies de Scapin par Jean Baptiste Poquelin: Molière

Une pièce de théâtre de Molière



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