L’Ermite

Dans  Contes Libertins 2nd partie
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Des volontés de Dieu ton créateur,
Ne tarde plus, va-t’en trouver l’ermite,
Ou tu mourras. La fillette reprit:
Hé bien, maman, l’avais-je pas bien dit ?
Mon Dieu partons; allons rendre visite
A l’homme saint; je crains tant votre mort
Que j’y courrais, et tout de mon plus fort,
S’il le fallait. Allons donc, dit la mère.
La belle mit son corset des bons jours
Son demi-ceint, ses pendants de velours,
Sans se douter de ce qu’elle allait faire .
Jeune fillette a toujours soin de plaire.
Notre cagot s’était mis aux aguets,
Et par un trou qu’il avait fait exprès
A sa cellule, il voulait que ces femmes
Le pussent voir comme un brave soldat
Le fouet en main, toujours en un état
De pénitence, et de tirer des flammes
Quelque défunt puni pour ses méfaits,
Faisant si bien en frappant tout auprès,
Qu’on crut ouïr cinquante disciplines.
Il n’ouvrit pas a nos deux pèlerines
Du premier coup, et pendant un moment
Chacune peut l’entrevoir s’escrimant
Du saint outil. Enfin la porte s’ouvre,
Mais ce ne fut d’un bon Miserere.
Le papelard contrefait l’etonné.
Tout en tremblant la veuve lui découvre,
Non sans rougir, le cas comme il était.
A six pas d’eux la fillette attendait
Le résultat, qui fut que notre ermite
Les renvoya, fit le bon hypocrite.
Je crains, dit-il, les ruses du malin:
Dispensez-moi, le sexe féminin
Ne doit avoir en ma cellule entrée.
Jamais de moi saint-père ne naîtra.
La veuve dit, toute déconfortée:
Jamais de vous ? et pourquoi ne fera ?
Elle ne put en tirer autre chose.
En s’en allant la fillette disait:
Hélas ! maman, nos pêchés en sont cause.
La nuit revient, et l’une et l’autre était
Au premier somme, alors que l’hypocrite
Et son cornet font bruire la maison.
Il leur cria toujours du même ton:
Retournez voir Luce le saint ermite.
Je l’ai changé, retournez dès demain.
Les voilà donc derechef en chemin.
Pour ne tirer plus en long cette histoire,
Il les reçût. La mère s’en alla,
Seule s’entend, la fille demeura,
Tout doucement il vous l’apprivoisa,
Lui prit d’abord son joli bras d’ivoire,
Puis s’approcha, puis en vint au baiser,
Puis aux beautés que l’on cache à la vue,
Puis le. galant vous la mit toute nue,
Comme s’il eut voulu la baptiser.
O papelards! qu’on se trompe à vos mines !
Tant lui donna du retour de matines ,
Que maux de coeur vinrent premièrement,
Et maux de coeur chassés, Dieu sait comment.
En fin finale, une certaine enflure
La contraignit d’allonger sa ceinture:
Mais en cachette, et sans en avertir
Le forge-pape, encore moins la mère.
Elles craignait qu’on ne la fît partir:
Le jeu d’amour commençait à lui plaire.
Vous me direz: d’où lui vint tant d’esprit?
D’où? de ce jeu, c’est l’arbre de science.
Sept mois entiers la galande attendit;
Elle allégua son peu d’expérience.
Dès que la mère eut indice certain
De sa grossesse, elle lui fit soudain
Trousser bagage et remercia l’hôte.
Lui de sa part rendit grâce au Seigneur
Qui soulageait son pauvre serviteur.
Puis, au départ, il leur dit que sans faute,
Moyennant Dieu, l’enfant viendrait à bien.
Gardez pourtant, Dame, de faire rien
Qui puisse nuire à votre gantière.
Ayez grand soin de cette créature,
Car tout bonheur vous en arrivera.
Vous régnerez, serez la signora,
Ferez monter aux grandeurs tous les vôtres,
Princes les uns et grands seigneurs les autres.
Vos cousins ducs, cardinaux vos neveux:
Places, châteaux, tant pour vous que pour eux,
Ne manqueront en aucune manière,
Non plus que l’eau qui coule en la rivière.
Leur ayant fait cette prédiction,
Il leur donna sa bénédiction.
La signora, de retour chez sa mère,
S’entretenait jour et nuit du saint-père,
Préparait tout, lui faisait des béguins:
Au demeurant prenait tous les matins
La couple d’oeufs, attendait en liesse
Ce qui viendrait d’une telle grossesse.
Mais ce qui vint détruisit les châteaux,
Fit avorter les mitres, les chapeaux,
Et les grandeurs de toute la famille.
La signora mit au monde une fille.

Jean de la Fontaine
Fable de la Fontaine


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