L’épouse fidèle

Dans  Les cantilènes Livre 4
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A la fraîche fontaine,
Sous le grand peuplier,
A la fraîche fontaine
S’ arrête un cavalier.
Son noir cheval est blanc
D’ écume et de poussière,
Il est blanc de la queue
Jusques à la crinière

A la fraîche fontaine,
Sous le grand peuplier,


A la fraîche fontaine
S’ arrête un cavalier.
“La belle qui puisez
Dans le seau d’ or cerclé,
Versez au cavalier
Et versez à la bête. ”

Elle verse de l’ eau
Sans relever la tête,
Elle verse de l’ eau
Avec un long sanglot.
“Qu’ avez-vous donc, la belle,
A sangloter ainsi ?
Avez-vous du chagrin,
Avez-vous du souci ?

Mon mari fait la guerre.
Voilà sept ans à Pâques.
J’ attends encore un an
Et puis j’ entre au couvent.
« Votre mari, la belle,
est mort l’ hiver dernier,
et j’ ai payé les chantres,
Les chantres et le prêtre.»

« Si vous avez payé
Les chantres et le prêtre,
Je vous rendrai l’ argent,
L’ argent et l’ intérêt. »
« Rendez-moi donc, la belle,
Rendez-moi le baiser
Que j’ ai mis sur ses lèvres
Avant de l’ enterrer ! »

Comme des fleurs au vent
Mes baisers sont allés !
Je vous rendrai l’ argent,
L’argent et l’ intérêt.
« Réjouis-toi, la belle,
Car je suis ton mari.
J’ ai dans mon escarcelle
Cent bagues de rubis. »

Pour les doigts de ma main
Vos bagues sont trop grandes ;
Passez votre chemin,
Seigneur, et Dieu vous garde.
« Dans ton jardin le myrte
Fleurit même en octobre,
Une lampe d’ ivoire
Brûle dans ton alcôve. »

Avec notre voisine
Vous avez bavardé.
Des signes de mon corps
Dites, et je croirai.
« Un joli signe blond
Frise à ton cou de lait,
Un autre orne ton ventre
Et seul, je l’ ai touché. »

« Nourrice, ma nourrice.
Va dresser notre lit,
Car c’ est lui mon mari,
C’ est lui mon bien-aimé ! ”

 

Les cantilènes Livre 4

Jean Moréas



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