Le Psautier

Dans  Contes Libertins suite
4.7/5 - (11 votes)
Nonnes souffrez pour la dernière fois
Qu’en ce recueil malgré moi je vous place.
De vos bons tours les contes ne sont froids.
Leur aventure a ne sais quelle grâce
Qui n’est ailleurs: ils emportent les voix.
Encore un donc, et puis c’en seront trois.
Trois? je faux d’un; c’en seront au moins quatre
Comptons-les bien. Mazet le compagnon;

L’abbesse ayant besoin d’un bon garçon
Pour la guérir d’un mal opiniâtre;
Ce conte-ci qui n’est le moins fripon;
Quant a sœur Jeanne ayant fait un poupon,
Je ne tiens pas qu’il la faille rabattre.
Les voilà tous: quatre c’est compte rond.
Vous me direz: C’est une étrange affaire
Que nous ayons tant de part en ceci.
Que voulez-vous ? je n’y saurais que faire;
Ce n’est pas moi qui le souhaite ainsi.
Si vous teniez toujours votre bréviaire,
Vous n’auriez rien à démêler ici.
Mais ce n’est pas votre plus grand souci.
Passons donc vite à la présente histoire.
Dans un couvent de nonnes fréquentait
Un jouvenceau friand comme on peut croire
De ces oiseaux. Telle pourtant prenait
Goût à le voir, et des yeux le couvait,
Lui souriait, faisait la complaisante,
Et se disait sa très humble servante,
Qui pour cela d’un seul point n’avançait.
Le conte dit que léans il n’était
Vieille ni jeune, à qui le personnage
Ne fit songer quelque chose à part soi.
Soupirs trottaient, bien voyait le pourquoi,
Sans qu’il s’en mît en peine davantage.
Sœur Isabeau seule pour son usage
Eut le galant: elle le méritait
Douce d’humeur, gentille de corsage,
Et n’en étant qu’à son apprentissage,
Belle de plus. Ainsi l’on l’enviait
Pour deux raisons; son amant, et ses charmes.
Dans ses amours chacune l’épiait:
Nul bien sans mal, nul plaisir sans alarmes.
Tant et si bien l’épièrent les sœurs,
Qu’une nuit sombre, et propre à ces douceurs
Dont on confie aux ombres le mystère,
En sa cellule on ouït certains mots,
Certaine voix, enfin certains propos
Qui n’étaient pas sans doute en son bréviaire.
C’est le galant, ce dit-on, il est pris.
Et de courir; l’alarme est aux esprits;
L’essaim frémit, sentinelle se pose.
On va conter en triomphe la chose
A mère abbesse; et heurtant à grands coups
On lui cria: Madame levez-vous;
Sœur Isabelle a dans sa chambre un homme.
Vous noterez que Madame n’était
En oraison, ni ne prenait son somme:
Trop bien alors dans son lit elle avait
Messire Jean curé du voisinage.
Pour ne donner aux sœurs aucun ombrage,
Elle se lève, en hâte, étourdiment,
Cherche son voile, et malheureusement
Dessous sa main tombe du personnage
Le haut-de-chausse assez bien ressemblant
Pendant la nuit quand on n’est éclairée
A certain voile aux nonnes familier
Nommé pour lors entre elles leur psautier.
La voilà donc de grègues affublée.
Ayant sur soi ce nouveau couvre-chef,
Et s’étant fait raconter derechef
Tout le catus elle dit irritée:
Voyez un peu la petite effrontée,
Fille du diable, et qui nous gâtera
Notre couvent; si Dieu plaît ne fera:
S’il plaît à Dieu bon ordre s’y mettra:
Vous la verrez tantôt bien chapitrée.
Chapitre donc, puisque chapitre y a,
Fut assemblé. Mère abbesse entourée
De son sénat fit venir Isabeau,
Qui s’arrosait de pleurs tout le visage,
Se souvenant qu’un maudit jouvenceau
Venait d’en faire un différent usage.
Quoi, dit l’abbesse, un homme dans ce lieu !
Un tel scandale en la maison de Dieu !
N’êtes-vous point morte de honte encore ?
Qui nous a fait recevoir parmi nous
Cette voirie ? Isabeau, savez-vous
(Car désormais qu’ici l’on vous honore
Du nom de sœur, ne le prétendez pas)
Savez-vous dis-je à quoi dans un tel cas
Notre institut condamne une méchante ?
Vous l’apprendrez devant qu’il soit demain.
Parlez parlez. Lors la pauvre nonnain,
Qui jusque-là confuse et repentante
N’osait branler, et la vue abaissoit
Lève les yeux, par bonheur aperçoit
Le haut-de-chausse, à quoi toute la bande
Par un effet d’émotion trop grande,
N’avoit pris garde, ainsi qu’on voit souvent.
Ce fut hasard qu’Isabelle à l’instant
S’en aperçût. Aussitôt la pauvrette
Reprend courage, et dit tout doucement:
Votre psautier a ne sais quoi qui pend;
Raccommodez-le. Or c’était l’aiguillette,
Assez souvent pour bouton l’on s’en sert.
D’ailleurs ce voile avoit beaucoup de l’air
D’un haut-de-chausse: et la jeune nonnette,
Ayant l’idée encore fraîche des deux
Ne s’y méprit: non pas que le messire
Eût chausse faite ainsi qu’un amoureux:
Mais à peu près; cela devait suffire.
L’abbesse dit: Elle ose encore rire !
Quelle insolence ! Un péché si honteux
Ne la rend pas plus humble et plus soumise !
Veut-elle point que l’on la canonise ?
Laissez mon voile esprit de Lucifer.
Songez songez, petit tison d’enfer,
Comme on pourra raccommoder votre âme.
Pas ne finit mère abbesse sa gamme
Sans sermonner et tempêter beaucoup.
Sœur Isabeau lui dit encore un Coup
Raccommodez votre psautier, Madame.
Tout le troupeau se met à regarder.
Jeunes de rire, et vieilles de gronder.
La voix manquant à notre sermonneuse,
Qui de son troc bien fâchée et honteuse,
N’eut pas le mot à dire en ce moment,
L’essaim fit voir par son bourdonnement,
Combien roulaient de diverses pensées
Dans les esprits. Enfin l’abbesse dit:
Devant qu’on eût tant de voix ramassées,
Il serait tard. Que chacune en son lit
S’aille remettre. A demain toute chose.
Le lendemain ne fut tenu, pour cause,
Aucun chapitre; et le jour ensuivant
Tout aussi peu. Les sages du couvent
Furent d’avis que l’on se devait taire
Car trop d’éclat eût pu nuire au troupeau.
On n’en voulait à la pauvre Isabeau
Que par envie. Ainsi n’ayant pu faire
Qu’elle lâchât aux autres le morceau,
Chaque nonnain, faute de jouvenceau,
Songe à pourvoir d’ailleurs à son affaire.
Les vieux amis reviennent de plus beau.
Par préciput à notre belle on laisse
Le jeune fils; le pasteur à l’abbesse;
Et l’union alla jusques au point
Qu’on en prêtait à qui n’en avait point.

Jean de la Fontaine
Fable de Jean de la Fontaine

 



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/