Le Muletier

Dans  Contes Libertins 2nd partie
4.5/5 - (8 votes)

A tout cela Teudelingue était faite.
Notre amoureux fournit plus d’une traite.
Un muletier à ce jeu vaut trois rois.
Dont Teudelingue entra par plusieurs fois
En pensement, et crut que la colère
Rendait le prince outre son ordinaire
Plein de transport, et qu’il n’y songeait pas.
En ses présents le Ciel est toujours juste:
Il ne départ à gens de tous états
Mêmes talents. Un empereur auguste
A les vertus propres pour commander:
Un avocat sait les points décider:
Au jeu d’amour le muletier fait rage:
Chacun son fait; nul n’a tout en partage.
Notre galant s’étant diligenté,
Se retira sans bruit et sans clarté,
Devant l’aurore. Il en sortait à peine,
Lorsqu’Agiluf alla trouver la reine;
Voulut s’ébattre, et l’étonna bien fort.
Certes, Monsieur, je sais bien, lui dit-elle,
Que vous avez pour moi beaucoup de zèle;
Mais de ce lieu vous ne faites encor
Que de sortir: même outre l’ordinaire
En avez pris, et beaucoup plus qu’assez.
Pour Dieu, Monsieur, je vous prie, avisez
Que ne soit trop; votre santé m’est chère.
Le roi fut sage, et se douta du tour;
Ne sonna mot, descendit dans la cour;
Puis de la cour entra dans l’écurie
Jugeant en lui que le cas provenait
D’un muletier, comme l’on lui parlait .
Toute la troupe était lors endormie,
Fors le galant, qui tremblait pour sa vie.
Le roi n’avait lanterne ni bougie.
En tâtonnant il s’approcha de tous;
Crut que l’auteur de cette tromperie
Se connaîtrait au battement du pouls.
Pas ne faillit dedans sa conjecture;
Et le second qu’il tâta d’aventure
Etait son homme; à qui d’émotion,
Soit pour la peur, ou soit pour l’action,
Le coeur battait, et le pouls tout ensemble.
Ne sachant pas où devait aboutir
Tout ce mystère, il feignait de dormir.
Mais quel sommeil ! le roi, pendant qu’il tremble,
En certain coin va prendre des ciseaux
Dont on coupait le crin à ses chevaux.
Faisons, dit-il, au galant une marque,
Pour le pouvoir demain connaître mieux.
Incontinent de la main du monarque
Il se sent tondre. Un toupet de cheveux
Lui fut coupé, droit vers le front du sire.
Et cela fait le prince se retire.
II oublia de serrer le toupet;
Dont le galant s’avisa d’un secret
Qui d’Agiluf gâta le stratagème.
Le muletier alla sur l’heure même
En pareil lieu tondre ses compagnons.
Le jour venu, le roi vit ces garçons
Sans poil au front. Lors le prince en son âme:
Qu’est ceci donc ! qui croirait que ma femme
Aurait été si vaillante au déduit ?
Quoi Teudelingue a-t-elle cette nuit
Fourni d’ébat à plus de quinze ou seize ?
Autant en vit vers le front de tondus.
Or bien, dit-il, qui l’a fait si se taise :
Au demeurant qu’il n’y retourne plus .

Jean de la Fontaine
Fable de la Fontaine


Pages: 1 2


Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/