Le Cid ACTE IV Scène première

Dans  Le Cid de Pierre Corneille
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Le Cid ACTE IV Scène première

Chimène, Elvire

Chimène

N’est-ce point un faux bruit ? le sais-tu bien, Elvire ?

Elvire

Vous ne croiriez jamais comme chacun l’admire,

Et porte jusqu’au ciel, d’une commune voix,

De ce jeune héros les glorieux exploits.

Les Maures devant lui n’ont paru qu’à leur honte;

Leur abord fut bien prompt, leur fuite encor plus prompte;

Trois heures de combat laissent à nos guerriers

Une victoire entière et deux rois prisonniers.

La valeur de leur chef ne trouvait point d’obstacles.

Chimène

Et la main de Rodrigue a fait tous ces miracles ?

Elvire

De ses nobles efforts ces deux rois sont le prix;

Sa main les a vaincus, et sa main les a pris.

Chimène

De qui peux-tu savoir ces nouvelles étranges ?

Elvire

Du peuple qui partout fait sonner ses louanges,

Le nomme de sa joie et l’objet et l’auteur,

Son ange tutélaire et son libérateur.

Chimène

Et le roi, de quel œil voit-il tant de vaillance ?

Elvire

Rodrigue n’ose encor paraître en sa présence;

Mais don Diègue ravi lui présente enchaînés,

Au nom de ce vainqueur, ces captifs couronnés,

Et demande pour grâce à ce généreux prince

Qu’il daigne voir la main qui sauve la province.

Chimène

Mais n’est-il point blessé ?

Elvire

Mais n’est-il point blessé ? Je n’en ai rien appris.

Vous changez de couleur ! reprenez vos esprits.

Chimène

Reprenons donc aussi ma colère affaiblie:

Pour avoir soin de lui faut-il que je m’oublie ?

On le vante, on le loue, et mon cœur y consent !

Mon honneur est muet, mon devoir impuissant !

Silence, mon amour, laisse agir ma colère:

S’il a vaincu deux rois, il a tué mon père;

Ces tristes vêtements, où je lis mon malheur

Sont les premiers effets qu’ait produit sa valeur;

Et quoi qu’on die ailleurs d’un cœur si magnanime,

Ici tous les objets me parlent de son crime.

Vous qui rendez la force à mes ressentiments,

Voiles, crêpes, habits, lugubres ornements,

Pompe que me prescrit sa première victoire,

Contre ma passion soutenez bien ma gloire;

Et lorsque mon amour prendra trop de pouvoir,

Parlez à mon esprit de mon triste devoir,

Attaquez sans rien craindre une main triomphante.

Elvire

Modérez ces transports, voici venir l’infante.

Le Cid ACTE IV Scène première

Chimène, Elvire

La pièce de Théâtre Le Cid par Pierre Corneille.



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