Le Calendrier des Vieillards

Dans  Contes Libertins 2nd partie
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Et le plaisir de la pêche goûtaient,
Sans s’éloigner que bien peu de la rade.
Arrive donc, qu’un jour de promenade,
Bartholomée et Messer le docteur,
Prennent chacun une barque à pécheur,
Sortent sur mer; ils avaient fait gageure
A qui des deux aurait plus de bonheur,
Et trouverait la meilleure aventure
Dedans sa pêche, et n’avaient avec eux,
Dans chaque barque, en tout qu’un homme ou deux.
Certain corsaire aperçut la chaloupe
De notre epouse, et vint avec sa troupe
Fondre dessus; l’emmena bien et beau;
Laissa Richard: soit que près du rivage
Il n’osât pas hasarder davantage
Soit qu’il craignît qu’ayant dans son vaisseau
Notre vieillard, il ne pût de sa proie
Si bien jouir; car il aimait la joie
Plus que l’argent, et toujours avait fait
Avec honneur son metier de corsaire,
Au jeu d’amour était homme d’effet,
Ainsi que sont gens de pareille affaire.
Gens de mer sont toujours prêts à bien faire
Ce qu’on appelle autrement bons garçons:
On n’en voit point qui les fêtes allègue.
Or tel était celui dont nous parlons,
Ayant pour nom Pagamin de Monègue.
La belle fit son devoir de pleurer
Un demi-jour, tant qu’il se put étendre:
Et Pagamin de la réconforter;
Et notre épouse à la fin de se rendre.
Il la gagna; bien savait son métier.
Amour s’en mit, Amour ce bon apôtre,
Dix mille fois plus corsaire que l’autre,
Vivant de rapt, faisant peu de quartier.
La belle avait sa rançon toute prête:
Très bien lui prit d’avoir de quoi payer;
Car là n’était ni vigile ni fête.
Elle oublia ce beau calendrier
Rouge partout, et sans nul jour ouvrable:
De la ceinture on le lui fit tomber ;
Plus n’en fut fait mention qu’à la table.
Notre légiste eût mis son doigt au feu
Que son épouse était toujours fidèle,
Entière, et chaste; et que moyennant Dieu
Pour de l’argent on lui rendrait la belle.
De Pagamin il prit un sauf-conduit,
L’alla trouver, lui mit la carte blanche .
Pagamin dit: Si je n’ai pas bon bruit
C’est à grand tort: je veux vous rendre franche
Et sans rançon votre chère moitié.
Ne plaise à Dieu que si belle amitié
Soit par mon fait de désastre ainsi pleine.
Celle pour qui vous prenez tant de peine
Vous reviendra selon votre désir.
Je ne veux point vous vendre ce plaisir.
Faites-moi voir seulement qu’elle est vôtre;
Car si j’allais vous en rendre quelque autre,
Comme il m’en tombe assez entre les mains,
Ce me serait une espèce de blâme.
Ces jours passés je pris certaine dame,
Dont les cheveux sont quelque peu châtains,
Grande de taille, en bon point, jeune, et fraîche
Si cette belle après vous avoir vu
Dit être à vous, c’est autant de conclu:
Reprenez-la: rien ne vous en empêche.
Richard reprit: Vous parlez sagement:
Et me traitez trop généreusement.
De son métier il faut que chacun vive.
Mettez un prix à la pauvre captive,
Je le payerai comptant, sans hésiter.
Le compliment n’est ici nécessaire:
Voilà ma bourse, il ne faut que compter.
Ne me traitez que comme on pourrait faire
En pareil cas l’homme le moins connu.
Serait-il dit que vous m’eussiez vaincu
D’honnêteté ? non sera sur mon âme.
Vous le verrez. Car, quant à cette dame,
Ne doutez point qu’elle ne soit à moi.
Je ne veux pas que vous m’ajoutiez foi,
Mais aux baisers que de la pauvre femme
Je recevrai, ne craignant qu’un seul point:
C’est qu’à me voir de joie elle ne meure.
On fait venir l’épouse tout à l’heure,
Qui froidement et ne s’émouvant point,
Devant ses yeux voit son mari paraître.
Sans témoigner seulement le connaître,
Non plus qu’un homme arrive du Pérou.
Voyez, dit-il, la pauvrette est honteuse
Devant les gens; et sa joie amoureuse


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