Le Bourgeois gentilhomme ACTE V Scène VI

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Le Bourgeois gentilhomme ACTE V Scène VI

Le Bourgeois gentilhomme par Molière

Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Cléonte, etc.

Madame Jourdain

Comment donc ? qu’est-ce que c’est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un carême-prenant ?

Monsieur Jourdain

Voulez-vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n’y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable.

Madame Jourdain

C’est vous qu’il n’y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire avec cet assemblage ?

Monsieur Jourdain

Je veux marier notre fille avec le fils du Grand Turc.

Madame Jourdain

Avec le fils du Grand Turc !

Monsieur Jourdain

Oui, faites-lui faire vos compliments par le truchement que voilà.

Madame Jourdain

Je n’ai que faire du truchement, et je lui dirai bien moi-même à son nez qu’il n’aura point ma fille.

Monsieur Jourdain

Voulez-vous vous taire, encore une fois ?

Dorante

Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là ? Vous refusez Son Altesse Turque pour gendre ?

Madame Jourdain

Mon Dieu, Monsieur, mêlez-vous de vos affaires.

Dorimène

C’est une grande gloire, qui n’est pas à rejeter.

Madame Jourdain

Madame, je vous prie aussi de ne vous point embarrasser de ce qui ne vous touche pas.

Dorante

C’est l’amitié que nous avons pour vous qui nous fait intéresser dans vos avantages.

Madame Jourdain

Je me passerai bien de votre amitié.

Dorante

Voilà votre fille qui consent aux volontés de son père.

Madame Jourdain

Ma fille consent à épouser un Turc ?

Dorante

Sans doute.

Madame Jourdain

Elle peut oublier Cléonte ?

Dorante

Que ne fait-on pas pour être grand’dame ?

Madame Jourdain

Je l’étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-là.

Monsieur Jourdain

Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce mariage-là se fera.

Madame Jourdain

Je vous dis, moi, qu’il ne se fera point.

Monsieur Jourdain

Ah ! que de bruit !

Lucile

Ma mère.

Madame Jourdain

Allez, vous êtes une coquine.

Monsieur Jourdain

Quoi ? Vous la querellez de ce qu’elle m’obéit ?

Madame Jourdain

Oui: elle est à moi, aussi bien qu’à vous.

Covielle

Madame.

Madame Jourdain

Que me voulez-vous conter, vous ?

Covielle

Un mot.

Madame Jourdain

Je n’ai que faire de votre mot.

Covielle, à M. Jourdain.

Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez.

Madame Jourdain

Je n’y consentirai point.

Covielle

Écoutez-moi seulement.

Madame Jourdain

Non.

Monsieur Jourdain

Écoutez-le.

Madame Jourdain

Non, je ne veux pas l’écouter.

Monsieur Jourdain

Il vous dira…

Madame Jourdain

Je ne veux point qu’il me dise rien.

Monsieur Jourdain

Voilà une grande obstination de femme ! Cela vous fera-t-il mal, de l’entendre ?

Covielle

Ne faites que m’écouter; vous ferez après ce qu’il vous plaira.

Madame Jourdain

Hé bien ! quoi ?

Covielle, à part.

Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n’est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l’abusons sous ce déguisement, et que c’est Cléonte lui-même qui est le fils du Grand Turc ?

Madame Jourdain

Ah ! ah !

Covielle

Et moi Covielle qui suis le truchement ?

Madame Jourdain

Ah ! comme cela, je me rends.

Covielle

Ne faites pas semblant de rien.

Madame Jourdain

Oui, voilà qui est fait; je consens au mariage.

Monsieur Jourdain

Ah ! voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l’écouter. Je savais bien qu’il vous expliquerait ce que c’est que le fils du Grand Turc.

Madame Jourdain

Il me l’a expliqué comme il faut, et j’en suis satisfaite. Envoyons quérir un notaire.

Dorante

C’est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l’esprit tout à fait content, et que vous perdiez aujourd’hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre mari, c’est que nous nous servirons du même notaire pour nous marier, Madame et moi.

Madame Jourdain

Je consens aussi à cela.

Monsieur Jourdain

C’est pour lui faire accroire.

Dorante

Il faut bien l’amuser avec cette feinte.

Monsieur Jourdain

Bon, bon. Qu’on aille quérir le notaire.

Dorante

Tandis qu’il viendra, et qu’il dressera les contrats, voyons notre ballet, et donnons-en le divertissement à Son Altesse Turque.

Monsieur Jourdain

C’est fort bien avisé: allons prendre nos places.

Madame Jourdain

Et Nicole ?

Monsieur Jourdain

Je la donne au truchement; et ma femme à qui la voudra.

Covielle

Monsieur, je vous remercie. Si l’on en peut voir un plus fou, je l’irai dire à Rome.

La comédie finit par un petit ballet qui avait été préparé par Cléonte.

Le Bourgeois gentilhomme ACTE V Scène VI

La pièce de Théâtre Le Bourgeois gentilhomme par Molière



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