La Première Elegie en Forme d’Epistre

Dans  Poésies Adolescence clémentine,  Poésies Clement Marot
Evaluer cet article
Quand j’entreprins t’escrire ceste lettre,
Avant qu’un mot à mon gré sceusse mettre,
En cent façons elle fut commencée:
Plustost escripte, et plustost effacée:
Soubdain fermée, et tout soubdain desclose,
Craignant avoir oublié quelcque chose,
Ou d’avoir mis aulcun mot à refaire:
Et briefvement, je ne sçavois que faire,
De l’envoyer vers toy (mon reconfort)
Car (pour certain) Doubte advertissoit fort


Le mien esprit de ne la commencer,
Ne devers toy en chemin l’advancer.
Incessamment venoit Doubte me dire,
Homme abusé, que veulx tu plus escrire?
Tous tes escriptz envoyez à fiance
Sont mis au fons du coffre d’oubliance.
N’as tu point d’yeux? ne vois tu pas que celle,
Où tu escriz, ses nouvelles te cele?
Si tes Envoys luy fussent agreables,
Ele t’eust faict responces amyables.
Croy moy, Amy, que les choses peu plaisent,
Quand on les voyt, si les Voyans se taisent.
Ainsi disoit Doubte plaine d’esmoy:
Mais Ferme amour, qui estoit avecq moy,
Me dist (Amant) il fault que tu t’asseures:
Te convient il doubter en choses seures?
Sçais tu pas bien, qu’en cueur de noble Dame
Loger ne peult ingratitude infâme?
S’elle a de toy quelcque escript apperceu,
Croy qu’à grand joye aura esté receu,
Leu, et releu, baisé, et rebaisé,
Puis mys à part comme ung Tresor prisé.
Et si pour toy ne mect Lettres en voye,
Crainte ne veult que vers toy les envoye:
Car bien souvent Lettres, et Messagers
Les Dames font tomber en gros dangers.
Parquoy, Amy, ne laisse point à prendre
La plume en main, en luy faisant apprendre,
Que quand jamais elle ne t’escriroit,
Jà pour cela t’amour ne periroit.
Si par amour le fais (comme je pense)
Mal n’en viendra, mais plustost recompense:
Pource que chose estant d’amour venue
Voulentiers est par amour recongneue.
Recongnois doncq, que celle où tu t’adresses,
D’honnesteté congnoist bien les adresses.
Voylà comment Amour ferme t’excuse
De ce, de quoy Doubte si fort t’accuse:
Et m’ont tenu longuement en ce poinct.
L’ung dict, escry: l’autre dict, n’escry point:
Puis l’ung m’attraict: puis l’autre me reboute:
Mais à la fin Amour a vaincu Doubte.
Doubte vouloit lyer de sa cordelle
Ma langue, et main: mais tout en despit d’elle
Amour a faict ma langue desployer,
Et ma main dextre à t’escrire employer,
Pour t’advertir, que puis le mien depart,
Tant de malheurs, dont j’ay receu ma part,
Tumbez sur nous n’ont point eu la puissance
De te jecter hors de ma congnoissance:
Voire et combien qu’au Camp il n’y eust âme
Parlant d’Amours, de Damoyselle, ou Dame,
Mais seulement de Courses, et Chevaulx,
De Sang, de Feu, de Guerre, et de Travaulx:
Ce nonobstant avecques son contraire
Amour venoit en mon cueur se retraire
Par le record, qui de toy me advenoit.
D’aultre (pour vray) tant peu me souvenoit,
Que si de toy cela ne fust venu,
Certes jamais ne me fust souvenu
D’amour, de Dame, ou Damoyselle aulcune:
Car tu es tout (quand à moy) et n’es, qu’une.
Que diray plus du combat rigoreux?
Tu sçais assez, que le sort malheureux
Tumba du tout sur nostre Nation:
Ne sçay si c’est par destination,
Mais tant y a, que je croy que Fortune
Desiroit fort de nous estre importune.
Là fut percé tout oultre rudement
Le bras de cil, qui t’ayme loyaulment:
Non pas le bras, dont il a de coustume
De manyer ou la Lance, ou la Plume:
Amour encor le te garde, et reserve,
Et par escriptz veult que de loing te serve.
Finalement avecq le Roy mon maistre
Delà les Monts Prisonnier se veit estre
Mon triste corps navré en grand souffrance:
Quant est du cueur, long temps y a qu’en France
Ton Prisonnier il est sans mesprison.
Or est le corps sorty hors de Prison:
Mais quant au cueur, puis que tu es la Garde
De sa Prison, d’en sortir il n’a garde:
Car tel Prison luy semble plus heureuse,
Que celle au corps ne sembla rigoreuse:
Et trop plus ayme estre serf en tes mains,
Qu’en liberté parmy tous les humains.
Aussi fur prins maint Roy, maint Duc, et Conte
En ce conflict, dont je laisse le compte:
Car que me vault d’inventer, et de querre
En cas d’Amours tant que propos de Guerre?
J’en laisseray du tout faire à Espaigne,
De qui la main en nostre sang se baigne.
C’est à ses gens à coucher par hystoires,
D’un stile hault Triumphes, et Victoires:
Et c’est à nous à toucher par escriptz
D’un piteux stile infortunes, et cryz.
Ainsi diront leurs Victoires apertes,
Et nous dirons noz malheureuses pertes.
Les dire (helas) il vault trop mieulx les taire,
Il vault trop mieulx en ung lieu solitaire,
En Champs, ou Boys pleins d’Arbres, et de fleurs
Aller dicter les plaisirs, ou les pleurs,
Que l’on reçoit de sa Dame cherie.
Puis pour oster hors du cueur fascherie,
Voller en Plaine, et chasser en Forest,
Descoupler Chiens, tendre Toilles, et Rhetz,
Aulcunesfois apres les longues Courses
Se venir seoir pres des Ruisseaux, et Sources,
Et s’endormir au son de l’eaue qui bruyt,
Ou escouter la Musique, et le bruyt
Des Oyselletz painctz de couleurs estranges
Comme Mallars, Merles, Mauviz, Mesanges,
Pinsons, Pivers, Passes, et Passerons.
En ce plaisir le temps nous passerons:
Et n’en sera (ce croy je) offensé Dieu,
Puis que la Guerre à l’Amour donne lieu.
Mais s’il advient, que la Guerre s’esbranle,
Lors conviendra dancer d’un autre branle:
Laisser fauldra Boys, Sources, et Ruisseaulx,
Laisser fauldra Chasse, Chiens, et Oyseaulx,
Laisser fauldra d’Amours les petitz dons,
Poursuivre aux Champs Estandars, et Guydons:
Et lors chascun ses forces reprendra,
Et pour l’amour de s’Amye tendra
A recouvrer Gloire, Honneur, et Butins,
Faisant congnoistre aux Espaignolz mutins,
Que longuement Fortune variable
En ung lieu seul ne peult estre amyable.
Tant plus les a Fortune autorisez,
Tant moins seront en fin favorisez,
Car la Fortune est pour ung Verre prise,
Qui tant plus luist, plustost se casse, et brise.
Voyla comment avecques Dieu j’espere,
Que nous aurons la Fortune prospere.
Si ne sçay plus que t’escrire, ou mander,
Fors seulement de te recommander
Cil, qui vers toy ceste lettre transmect:
Et si pour luy ta main blanche ne mect
La Plume en oeuvre, au moins (quoy qu’il advienne)
Fais, que de luy quelcque fois te souvienne.
S’il t’en souvient, lors que tu trouveras
De mes Amys, si dure ne sera
A mon advis, que de moy ne t’enquieres:
Et qui plus est, que tu ne les requieres
De t’advertir, en quel poinct je me porte:
Lors ce seul mot, si on le me raporte,
Allegera la grand douleur des coups,
Dont j’ay esté en deux sortes secoux.
Amour a faict de mon cueur une bute,
Et Guerre m’a navré de hacquebute:
Le coup du bras le montre à veue d’oeil:
Le coup du cueur le monstre par son dueil:
Ce nonobstant celluy du bras s’amende,
Celluy du cueur je le te recommande.

Poésies Adolescence clémentine
Clément Marot



Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/