La fiancée du roi de Garbe

Dans  Contes Libertins 2nd partie
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Celui dont vous avez éprouvé la constance.
Qu’attendez-vous pour soulager ses feux ?
N’est-il point assez amoureux,
Et n’avez-vous point fait assez de résistance ?
Hispal haranguait de façon
Qu’il aurait échauffé des marbres,
Tandis qu’Alaciel, a l’aide d’un poinçon,
Faisait semblant d’écrire sur les arbres.
Mais l’amour la faisait rêver
A d’autres choses qu’à graver
Des caractères sur l’écorce.
Son amant et le lieu l’assuraient du secret:
C’était une puissante amorce.
Elle résistait à regret:
Le printemps par malheur était lors en sa force.
Jeunes coeurs sont bien empêchés
A tenir leurs désirs cachés,
Etant pris par tant de manières.
Combien en voyons-nous se laisser pas à pas
Ravir jusqu’aux faveurs dernières,
Qui dans l’abord ne croyaient pas
Pouvoir accorder les premières ?
Amour, sans qu’on y pense, amène ces instants.
Mainte fille a perdu ses gants,
Et femme au partir s’est trouvée,
Qui ne sait la plupart du temps
Comme la chose est arrivée.
Près de l’antre venus, notre amant proposa
D’entrer dedans; la belle s’excusa;
Mais malgré soi, déjà presque vaincue.
Les services d’Hispal en ce même moment
Lui reviennent devant la vue.
Ses jours sauvés des flots, son honneur d’un géant:
Que lui demandait son amant ?
Un bien dont elle était à sa valeur tenue
Il vaut mieux, disait-il, vous en faire un ami,
Que d’attendre qu’un homme à la mine hagarde
Vous le vienne enlever; Madame, songez-y;
L’on ne sait pour qui l’on le garde.
L infante à ces raisons se rendant à demi,
Une pluie acheva l’affaire:
Il fallut se mettre à l’abri:
Je laisse à penser où. Le reste du mystère
Au fond de l’antre est demeuré.
Que l’on la blâme ou non, je sais plus d’une belle
A qui ce fait est arrivé
Sans en avoir moitié d’autant d’excuses qu’elle.
L’ancre ne les vit seul de ces douceurs jouir:
Rien ne coûte en amour que la première peine.
Si les arbres parlaient, il ferait bel ouïr
Ceux de ce bois; car la forêt n’est pleine
Que des monuments amoureux
Qu’Hispal nous a laissés, glorieux de sa proie.
On y verrait écrit: Ici pâma de joie
Des mortels le plus heureux
Là mourut un amant sur le sein de sa dame
En cet endroit, mille baisers de flamme
Furent donnés, et mille autres rendus.
Le parc dirait beaucoup, le château beaucoup plus,
Si châteaux avaient une langue.
La chose en vint au point que, las de tant d’amour
Nos amants à la fin regrettèrent la cour.
La belle s’en ouvrit, et voici sa harangue:
Vous m’ êtes cher, Hispal; j’aurais du déplaisir,
Si vous ne pensiez pas que toujours je vous aime.
Mais qu’est-ce qu’un amour sans crainte et sans désir?
Je vous le demande à vous-même.
Ce sont des feux bientôt passés,
Que ceux qui ne sont point dans leur cours traversés;
Il y faut un peu de contrainte.
Je crains fort qu’à la fin ce séjour si charmant
Ne nous soit un désert, et puis un monument;
Hispal, ôtez-moi cette crainte.
Allez-vous-en voir promptement
Ce qu’on croira de moi dedans Alexandrie,
Quand on saura que nous sommes en vie.
Déguisez bien notre séjour:
Dites que vous venez préparer mon retour,
Et faire qu’on m’envoie une escorte si sûre,
Qu’il n’arrive plus d’aventure.
Croyez-moi, vous n’y perdrez rien:
Trouvez seulement le moyen
De me suivre en ma destinée,
Ou de fillage , ou d’hymenée;
Et tenez pour chose assurée
Que si je ne vous fais du bien
Je serai de près éclairée.
Que ce fut ou non son dessein,
Pour se servir d’Hispal, il fallait tout promettre.
Dès qu’il trouve à propos de se mettre en chemin,
L’infante pour Zaïr le charge d’une lettre.
Il s’embarque, il fait voile, il vogue, il a bon vent;
Il arrive à la cour, où chacun lui demande
S’il est mort, s’il est vivant,
Tant la surprise fut grande;
En quels lieux est l’infante, enfin ce qu’elle fait.
Dès qu’il eut à tout satisfait,
On fit partir une escorte puissante.
Hispal fut retenu; non qu’on eût en effet
Le moindre soupçon de l’infante.
Le chef de cette escorte était jeune et bien fait.
Abordé près du parc, avant tout il partage
Sa troupe en deux, laisse l’une au rivage,
Va droit avec l’autre au château.
La beauté de l’infante était beaucoup accrue:
Il en devint épris à la premiere vue;
Mais tellement épris, qu’attendant qu’il fît beau,
Pour ne point perdre temps, il lui dit sa pensée.
Elle s’en tint fort offensée;
Et l’avertit de son devoir.
Temoigner en tels cas un peu de désespoir,
Est quelquefois une bonne recette.
C’est ce que fait notre homme; il forme le dessein
De se laisser mourir de faim;
Car de se poignarder, la chose est trop tôt faite:
On n a pas le temps d’en venir
Au repentir.
D’abord Alaciel riait de sa sottise.
Un jour se passe entier, lui sans cesse jeûnant,
Elle toujours le détournant
D’une si terrible entreprise.
Le second jour commence à la toucher.
Elle rêve à cette aventure.
Laisser mourir un homme, et pouvoir l’empêcher !
C’est avoir l’âme un peu trop dure.
Par pitié donc elle condescendit
Aux volontés du capitaine;
Et cet office lui rendit
Gaîment, de bonne grâce, et sans montrer de peine;
Autrement le remède eût été sans effet.
Tandis que le galant se trouve satisfait,
Et remet les autres affaires,
Disant tantôt que les vents sont contraires,
Tantôt qu’il faut radouber ses galères,
Pour être en état de partir,
Tantôt qu’on vient de l’avertir
Qu’il est attendu des corsaires:
Un corsaire en effet arrive, et surprenant
Ses gens demeurés à la rade,
Les tue, et va donner au château l’escalade:
Du fier Grifonio c’était le lieutenant.
Il prend le chateau d’emblée.
Voilà la fête troublée.
Le jeûneur maudit son sort.
Le corsaire apprend d’abord
L’aventure de la belle,
Et la tirant à l’écart,
Il en veut avoir sa part.
Elle fit fort la rebelle.
Il ne s’en étonna pas,
N’étant novice en tels cas.
Le mieux que vous puissiez faire,
Lui dit tout franc ce corsaire,
C’est de m’avoir pour ami;
Je suis corsaire et demi.
Vous avez fait jeûner un pauvre misérable
Qui se mourait pour vous d’amour;
Vous jeûnerez à votre tour,
Ou vous me serez favorable.
La justice le veut: nous autres gens de mer
Savons rendre à chacun selon ce qu’il mérite;
Attendez-vous de n’avoir à manger
Que quand de ce côté vous aurez été quitte.
Ne marchandez point tant, Madame, et croyez-moi.
Qu’eût fait Alaciel ? force n’a point de loi.
S’accommoder à tout est chose nécessaire.
Ce qu’on ne voudrait pas souvent il le faut faire.
Quand il plaît au destin que l’on en vienne là,
Augmenter sa souffrance est une erreur extrême;
Si par pitié d’autrui la belle se força,
Que ne point essayer par pitié de soi-même ?
Elle se force donc, et prend en gré le tout.
Il n’est affliction dont on ne vienne à bout.
Si le corsaire eût été sage,
Il eut mené l’infante en un autre rivage.
Sage en amour ? hélas, il n’en est point.
Tandis que celui-ci croit avoir tout à point,
Vent pour partir, lieu propre pour attendre,


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