Joconde

Dans  Contes Libertins 1ere partie
4.7/5 - (8 votes)
Je ne vois pourtant Dieu merci
Pas une beauté qui m’efface:
Cent conquérants voudraient avoir ta place,
Et tu sembles la mépriser;
Aimant beaucoup mieux t’amuser
A jouer avec quelque page
Au lansquenet,
Que me venir trouver seule en ce cabinet.
Dorimène tantôt t’en a fait le message;
Tu t’es mis contre elle a jurer,
A la maudire, à murmurer,
Et n’as quitté le jeu que ta main étant faite,
Sans te mettre en souci de ce que je souhaite.
Qui fut bien étonné, ce fut notre Romain.
Je donnerais jusqu’à demain,
Pour deviner qui tenait ce langage,
Et quel était le personnage
Qui gardait tant son quant-à-moi.
Ce bel Adon était le nain du roi,
Et son amante était la reine.
Le Romain, sans beaucoup de peine,
Les vit en approchant les yeux
Des fentes que le bois laissait en divers lieux.
Ces amants se fiaient au soin de Dorimène;
Seule elle avait toujours la clef de ce lieu-là,
Mais la laissant tomber, Joconde la trouva,
Puis s’en servit, puis en tira
Consolation non petite:
Car voici comme il raisonna:
Je ne suis pas le seul, et puisque même on quitte
Un prince si charmant, pour un nain contrefait,
Il ne faut pas que je m’irrite,
D’être quitté pour un valet.
Ce penser le console: il reprend tous ses charmes,
Il devient plus beau que jamais;
Telle pour lui verse des larmes,
Qui se moquait de ses attraits.
C’est à qui l’aimera, la plus prude s’en pique,
Astolphe y perd mainte pratique.
Cela n’en fut que mieux; il en avait assez.
Retournons aux amants que nous avons laissés.
Après avoir tout vu le Romain se retire,
Bien empêché de ce secret.
Il ne faut à la cour ni trop voir, ni trop dire;
Et peu se sont vantés du don qu’on leur a fait
Pour une semblable nouvelle:
Mais quoi, Joconde aimait avecque trop de zèle
Un prince libéral qui le favorisait,
Pour ne pas l’avertir du tort qu’on lui faisait.
Or comme avec les rois il faut plus de mystère
Qu’avecque d’autres gens sans doute il n’en faudroit,
Et que de but en blanc leur parler d’une affaire,
Dont le discours leur doit déplaire,
Ce serait être maladroit;
Pour adoucir la chose, il fallut que Joconde,
Depuis l’origine du monde,
Fît un dénombrement des rois et des césars,
Qui sujets comme nous à ces communs hasards,
Malgré les soins dont leur grandeur se pique,
Avaient vu leurs femmes tomber
En telle ou semblable pratique,
Et l’avaient vu sans succomber
A la douleur, sans se mettre en colère,
Et sans en faire pire chère.
Moi qui vous parle, Sire, ajouta le Romain,
Le jour que pour vous voir je me mis en chemin,
Je fus forcé par mon destin,
De reconnaître Cocuage
Pour un des dieux du mariage,
Et comme tel de lui sacrifier.
Là-dessus il conta, sans en rien oublier,
Toute sa déconvenue;
Puis vint à celle du roi.
Je vous tiens, dit Astolphe, homme digne de foi;
Mais la chose, pour être crue,
Mérite bien d’être vue:
Menez-moi donc sur les lieux.
Cela fut fait, et de ses propres yeux
Astolphe vit des merveilles,
Comme il en entendit de ses propres oreilles.
L’énormité du fait le rendit si confus,
Que d’abord tous ses sens demeurèrent perclus:
Il fut comme accablé de ce cruel outrage:
Mais bientôt il le prit en homme de courage,
En galant homme, et pour le faire court,
En véritable homme de cour.
Nos femmes, ce dit-il, nous en ont donné d’une;
Nous voici lâchement trahis:
Vengeons-nous-en, et courons le pays;
Cherchons partout notre fortune.
Pour réussir dans ce dessein,
Nous changerons nos noms, je laisserai mon train,
Je me dirai votre cousin,
Et vous ne me rendrez aucune déférence:
Nous en ferons l’amour avec plus d’assurance,
Plus de plaisir, plus de commodité,
Que si j’étais suivi selon ma qualité.
Joconde approuva fort le dessein du voyage.
Il nous faut dans notre équipage,
Continua le prince, avoir un livre blanc:
Pour mettre les noms de celles
Qui ne seront pas rebelles,
Chacune selon son rang.
Je consens de perdre la vie,
Si devant que sortir des confins d’Italie
Tout notre livre ne s’emplit;
Et si la plus sévère à nos voeux ne se range:
Nous sommes beaux; nous avons de l’esprit;
Avec cela bonnes lettres de change;
Il faudrait être bien étrange,
Pour résister à tant d’appas,
Et ne pas tomber dans les lacs
De gens qui sèmeront l’argent et la fleurette,
Et dont la personne est bien faite.
Leur bagage étant prêt, et le livre surtout,
Nos galants se mettent en voie.
Je ne viendrais jamais à bout
De nombrer les faveurs que l’Amour leur envoie:
Nouveaux objets, nouvelle proie:
Heureuses les beautés qui s’offrent à leurs yeux !
Et plus heureuse encor celle qui peut leur plaire !
Il n’est en la plupart des lieux
Femme d’échevin, ni de maire,
De podestat, de gouverneur,
Qui ne tienne à fort grand honneur
D’avoir en leur registre place.
Les coeurs que l’on croyait de glace
Se fondent tous à leur abord.
J’entends déjà maint esprit fort
M’objecter que la vraisemblance
N’est pas en ceci tout à fait.
Car, dira-t-on, quelque parfait
Que puisse être un galant dedans cette science,
Encor faut-il du temps pour mettre un coeur à bien.
S’il en faut, je n’en sais rien
Ce n’est pas mon métier de cajoler personne:
Je le rends comme on me le donne;
Et l’Arioste ne ment pas.
Si l’on voulait à chaque pas
Arrêter un conteur d’histoire,
Il n’aurait jamais fait, suffit qu’en pareil cas
Je promets à ces gens quelque jour de les croire.
Quand nos aventuriers eurent goûté de tout
(De tout un peu, c’est comme il faut l’entendre)
Nous mettrons, dit Astolphe, autant de coeurs à bout
Que nous voudrons en entreprendre
Mais je tiens qu’il vaut mieux attendre.
Arrêtons-nous pour un temps quelque part
Et cela plus tôt que plus tard;
Car en amour, comme à la table,
Si l’on en croit la Faculté,
Diversité de mets peut nuire à la santé.
Le trop d’affaires nous accable;
Ayons quelque objet en commun;
Pour tous les deux c ‘est assez d’un.
J’y consens, dit Joconde, et je sais une dame
Près de qui nous aurons toute commodité.
Elle a beaucoup d’esprit, elle est belle, elle est femme
D’un des premiers de la cité.
Rien moins, reprit le roi, laissons la qualité:
Sous les cotillons des grisettes,
Peut loger autant de beauté,
Que sous les jupes des coquettes.
D’ailleurs, il n’y faut point faire tant de façon,
Etre en continuel soupçon,
Dépendre d’une humeur fière, brusque, ou volage:
Chez les dames de haut parage
Ces choses sont à craindre, et bien d’autres encor.
Une grisette est un trésor;
Car sans se donner de la peine,
Et sans qu’aux bals on la promène,
On en vient aisément à bout;
On lui dit ce qu’on veut, bien souvent rien du tout.
Le point est d’en trouver une qui soit fidèle
Choisissons-la toute nouvelle,
Qui ne connaisse encor ni le mal ni le bien.
Prenons, dit le Romain, la fille de notre hôte;
Je la tiens pucelle sans faute.
Et si pucelle qu’il n’est rien
De plus puceau que cette belle;
Sa poupée en sait autant qu’elle.
J’y songeais, dit le roi, parlons-lui des ce soir.
Il ne s’agit que de savoir
Qui de nous doit donner à cette jouvencelle,


Pages: 1 2 3 4


Réalisation : www.redigeons.com - https://www.webmarketing-seo.fr/