Horace ACTE IV Scène IV

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Horace ACTE IV Scène IV

Horace par Pierre Corneille

Camille

Oui, je lui ferai voir, par d’infaillibles marques,

Qu’un véritable amour brave la main des Parques,

Et ne prend point de lois de ces cruels tyrans

Qu’un astre injurieux nous donne pour parents.

Tu blâmes ma douleur, tu l’oses nommer lâche;

Je l’aime d’autant plus que plus elle te fâche,

Impitoyable père, et par un juste effort

Je la veux rendre égale aux rigueurs de mon sort.

En vit-on jamais un dont les rudes traverses

Prissent en moins de rien tant de faces diverses,

Qui fût doux tant de fois, et tant de fois cruel,

Et portât tant de coups avant le coup mortel ?

Vit-on jamais une âme en un jour plus atteinte

De joie et de douleur, d’espérance et de crainte,

Asservie en esclave à plus d’événements,

Et le piteux jouet de plus de changements ?

Un oracle m’assure, un songe me travaille;

La paix calme l’effroi que me fait la bataille;

Mon hymen se prépare, et presque en un moment

Pour combattre mon frère on choisit mon amant;

Ce choix me désespère, et tous le désavouent;

La partie est rompue, et les dieux la renouent;

Rome semble vaincue, et seul des trois Albains,

Curiace en mon sang n’a point trempé ses mains.

Ô dieux ! Sentais-je alors des douleurs trop légères

Pour le malheur de Rome et la mort de deux frères,

Et me flattais-je trop quand je croyais pouvoir

L’aimer encor sans crime et nourrir quelque espoir ?

Sa mort m’en punit bien, et la façon cruelle

Dont mon âme éperdue en reçoit la nouvelle:

Son rival me l’apprend, et faisant à mes yeux

D’un si triste succès le récit odieux,

Il porte sur le front une allégresse ouverte,

Que le bonheur public fait bien moins que ma perte;

Et bâtissant en l’air sur le malheur d’autrui,

Aussi bien que mon frère il triomphe de lui.

Mais ce n’est rien encore au prix de ce qui reste:

On demande ma joie en un jour si funeste;

Il me faut applaudir aux exploits du vainqueur,

Et baiser une main qui me perce le cœur.

En un sujet de pleurs si grand, si légitime,

Se plaindre est une honte, et soupirer un crime;

Leur brutale vertu veut qu’on s’estime heureux,

Et si l’on n’est barbare, on n’est point généreux.

Dégénérons, mon cœur, d’un si vertueux père;

Soyons indigne sœur d’un si généreux frère:

C’est gloire de passer pour un cœur abattu,

Quand la brutalité fait la haute vertu.

Éclatez, mes douleurs: à quoi bon vous contraindre ?

Quand on a tout perdu, que saurait-on plus craindre ?

Pour ce cruel vainqueur n’ayez point de respect;

Loin d’éviter ses yeux, croissez à son aspect;

Offensez sa victoire, irritez sa colère,

Et prenez, s’il se peut, plaisir à lui déplaire.

Il vient: préparons-nous à montrer constamment

Ce que doit une amante à la mort d’un amant.

Horace ACTE IV Scène IV

La pièce de Théâtre Horace par Pierre Corneille.



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