DAPHNE.

Dans  Les Noces corinthiennes,  Poésie Anatole France
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Cher Hippias, un vœu t’a pris ta fiancée !
Nous n’achèverons pas l’union commencée.
Oh ! trois fois malheureux parce que je te plus,
Ne reviens plus jamais ici, ne reviens plus !

Fermez-lui le chemin de tous nos ports, étoiles !
O souffles qui passez et gonflerez ses voiles,
Souffles mystérieux du soir, s’il est en vous
Un Esprit, un Génie intelligent et doux,
Sur la nef précieuse allez parler à l’homme,


Hélas ! qu’il ne faut plus désormais que je nomme,
Et s’il s’est endormi songeant à notre amour,
Pour qu’il ne sente pas d’amers regrets un jour,
Effacez doucement de ses yeux mon image.
Qu’il m’oublie ! Et qu’un soir, au hasard d’un voyage,
Reçu près d’un foyer tranquille et réjoui,
IL y trouve une vierge et l’emmène chez lui,
Plus heureuse que moi, mais non certes plus tendre.
Ah ! s’il m’était permis…
Un CHŒUR lointain de jeunes hommes, chantant un épithalftrae
Hymen, Hymen aux beaux flancs,
Hespéros se lève.
Viens à nous ; la nuit est brève :
Hâte tes pieds blancs !

DAPHNÉ.

Mais il me semble entendre
Un invisible chœur et des-appels lointains
Qui hâtent une vierge à de nouveaux destins.
Le CHŒUR se rapproche :
Accours, la nuit brève est bonne
Et douce aux aveux.
Viens, portant dans tes cheveux
La verte couronne !

DAPHNÉ.

De fleurs pour le festin leur chevelure est ceinte,
Car l’épouse a promis et la promesse est sainte.

Le CHŒUR plus proche encore :

O prince aux sandales d’or,

Hymen, Hyménée !
Reçois la vierge amenée

Qui te craint encor.

DAPHNÉ.

Ami, ne venez pas ! n’approchez pas, amis !
Je ne suis pas parée et, bien qu’ayant promis,
Sur mon front négligé les fleurs de marjolaine
N’exhalent pas encor leur odorante haleine.

Le CHŒUR suit sa route et s’éloigne

La beauté qui brille en elle

Sied à ton dessein :
Hymen, tire de son sein

La vie éternelle.

DAPHNÉ.

Où s’en vont loin de moi les chansons et les pas ?

Les amis de l’époux ne me chercheront pas !
Pourtant j’aurais porté dans la chambre choisie
Les parfums d’un amour plus doux que l’ambroisie.
Ton épouse étrangère, Hippias, crois-tu bien
Qu’elle ait un cœur plus sûr et meilleur que le mien ?
Silence de la nuit ! nuit froide et solitaire !
Non, je n’attends plus rien de l’homme et de la terre.

Elle détache de son doigt son anneau d’or.

O fontaine où l’on dit que dans les anciens jours,
Les Nymphes ont goûté d’ineffables amours,
Fontaine à mon enfance auguste et familière,
Reçois de la chrétienne une offrande dernière.
O source ! qu’à jamais ton sein fidèle et froid
Conserve cet anneau détaché de mon doigt,
L’anneau que je reçus dans une autre espérance.

Elle jette son anneau dans la. source.

Réjouis-toi, Dieu triste à qui plaît la souffrance !

Les Noces corinthiennes
Anatole France



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