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Si l’heure sonne, à jamais bénie, de la revanche; si, quelque jour, ceux de France volent vers l’Est à l’espoir de reconquérir les chères sœurs perdues (N’y pensons jamais, parlons-en toujours ! a dit Gambetta !); si… (pour la suite, voir les œuvres de Déroulède, première manière).

Si donc pour me résumer on déclare un jour la guerre à une grande nation voisine, qu’il me paraît superflu de désigner plus clairement, certes oh ! que certes ! je ferai mon devoir de patrouillote, mais je demanderai à le faire au sein du douzième corps d’armée, commandée par mon vieux camarade le général Poilloüe de Saint-Mars, un vaillant guerrier, qui joint à sa loyale épée un joli bout de plume.

Un de mes lecteurs m’adresse un journal de Limoges où s’étale une merveilleuse instruction de ce général en chef sur le tir.

Rien ne saurait m’étonner du général de Saint-Mars. Est-ce pas lui qui l’année dernière commençait une circulaire par cette phrase prestigieuse et non dénuée d’imprévu:

Certes, en temps de guerre, le pied du fantassin aurait une importance capitale, etc… (sic).

Mais revenons à l’instruction du même sur le tir, car elle est fertile en perles de tous orients.

Le début n’en est pas vilain:

Le cycle de l’instruction du tir va se fermer; c’est le moment d’examiner ce qui a été fait en 1894, afin de profiter en 1895 de notre expérience de l’année écoulée.

Le fait est qu’on ne saurait choisir un moment plus propice.

Sautons quelques lignes à pieds joints et arrivons à une phrase d’une mansuétude plutôt relative, mais d’images étrangement fortes:

Le tissu des trajectoires couvrira le champ de bataille d’une nappe de fer et de plomb qui pourra devenir infranchissable en pays découvert, mais qui restera toujours déchirée et trouée par les accidents du sol naturel et du sol remué par l’outil.

Ça, c’est embêtant, de songer que des gens à l’abri pourront peut-être ne pas être tués tous, tous, tous ! C’est embêtant, réellement embêtant !

Il n’y a pas que les fantassins qui seront embêtés de ne pas tuer tout le monde. Les cavaliers et les artilleurs aussi rencontreront des occasions de déboires:

Le cavalier et l’artilleur dominent les plaines mais ne sont qu’au second rang (ô honte ! ô désespoir !) dans les régions mouvementées (sic) où le premier perd sa vitesse, le second ses vues, sa puissance destructive au loin et où tous les deux deviennent alors inaptes à bénéficier (bénéficier !) du terrain.

Le couplet qui suit flatte assez mon esthétique de contribuable:

… Vous aurez alors assuré la sécurité de la patrie sur une base inébranlable, en dépensant seulement vos trésors d’intelligence et de bonne volonté, ce qui sera plus économique pour la France et moins banal que les demandes de crédits.

Un truc, ensuite, pour diminuer le poids des corps:

Votre fusil est excellent et d’une puissance terrible. Si vous le trouvez un peu lourd, allégez-le en le faisant manier constamment et dans tous les exercices par son détenteur.

Archimède n’aurait pas euréké ça.

Si l’instruction du général de Saint-Mars est rigoureusement suivie, les recrues ne s’embêteront pas, cet hiver, au tir réduit. Voyez plutôt:

Mettez tous vos soins à embellir et à perfectionner vos stands de tir réduit et toute votre ingéniosité à en faire un exercice attrayant pour les soldats.

Un bar servi par des dames, entre autres, et un lapin qu’on gagnerait chaque fois qu’on met dans le mille !

Plus pittoresque encore:

Ce n’est pas seulement les tireurs académiques debout, à genoux, couchés, qu’il s’agit de former, non; ce qu’il nous faut c’est le Tireur Panthère, courant, rampant, bondissant et cependant restant toujours maître-expert de cette trajectoire qui, dans ses mains habiles, est comme une lance de toutes les dimensions jusqu’à 3,000 mètres, dont il dirige à son gré les coups irrésistibles.

Le Tireur Panthère, hein ! Quel numéro, mon vieux Charles D…, pour les Folies-Bergère !

Passons encore et arrivons au couplet final, digne des autres:

En résumé, je demande à l’infanterie du 12e corps d’armée de concentrer tous ses efforts et tous ses moyens pour donner son maximum d’effet au fusil, ce sceptre de la reine des batailles, et dans ce but, je fais appel à toutes les initiatives et à toutes les bonnes volontés.

Le fusil, ce sceptre de la reine des batailles ! Voilà un mot de la fin comme je voudrais en avoir tout le temps !

 

Deux et deux font cinq (2+2=5)

Alphonse Allais

Commentaires inacrimonieux 2 + 2 = 5 Poésie Alphonse Allais

 Poésie Alphonse Allais - 2 + 2 = 5 - Commentaires inacrimonieux -  Si l’heure sonne, à jamais bénie, de la revanche; si, quelque jour, ceux de France volent vers l’Est à l’espoir de reconquérir les chères sœurs perdues (N’y pensons jamais, parlons-en toujours ! a dit Gambetta !); si… (pour la suite, voir les œuvres de Déroulède, première manière). Si donc pour me résumer on déclare un jour la guerre à une grande nation voisine, qu’il me paraît superflu de désigner plus clairement, certes oh ! que certes ! je ferai mon devoir de patrouillote, mais je demanderai à le faire au sein du douzième corps d’armée, commandée par mon vieux camarade le général Poilloüe de Saint-Mars, un vaillant guerrier, qui joint à sa loyale épée un joli bout de plume.


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