Andromaque ACTE troisième Scène II
Andromaque par Jean Racine
Hermione, Oreste, Cléone.
Oreste
Eh bien ! mes soins vous ont rendu votre conquête.
J’ai vu Pyrrhus, Madame, et votre hymen s’apprête.
Hermione
On le dit; et de plus on vient de m’assurer
Que vous ne me cherchiez que pour m’y préparer.
Oreste
Et votre âme à ses vœux ne sera pas rebelle ?
Hermione
Qui l’eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle ?
Que sa flamme attendrait si tard pour éclater ?
Qu’il reviendrait à moi, quand je l’allais quitter ?
Je veux croire avec vous qu’il redoute la Grèce,
Qu’il suit son intérêt plutôt que sa tendresse,
Que mes yeux sur votre âme étaient plus absolus.
Oreste
Non, Madame: il vous aime, et je n’en doute plus.
Vos yeux ne font-ils pas tout ce qu’ils veulent faire ?
Et vous ne vouliez pas sans doute lui déplaire.
Hermione
Mais que puis-je, Seigneur ? On a promis ma foi.
Lui ravirai-je un bien qu’il ne tient pas de moi ?
L’amour ne règle pas le sort d’une princesse:
La gloire d’obéir est tout ce qu’on nous laisse.
Cependant je partais, et vous avez pu voir
Combien je relâchais pour vous de mon devoir.
Oreste
Ah ! que vous saviez bien, cruelle… Mais, Madame,
Chacun peut à son choix disposer de son âme.
La vôtre était à vous. J’espérais; mais enfin
Vous l’avez pu donner sans me faire un larcin.
Je vous accuse aussi bien moins que la fortune.
Et pourquoi vous lasser d’une plainte importune ?
Tel est votre devoir, je l’avoue; et le mien
Est de vous épargner un si triste entretien.
La pièce de Théâtre Andromaque par Jean Racine.